« Dans un monde où l'information est une arme et où elle constitue même le code de la vie, la rumeur agit comme un virus, le pire de tous car il détruit les défenses immunitaires de sa victime. » Jacques Attali
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mar 24 Fév - 8:56
Le mystère BHL 2015-02-17 12:51:27
Partout ailleurs, un BHL aurait fini par exaspérer son propre milieu. Essayiste pompeux, romancier sans saveur, témoin partial et cinéaste grotesque, ce fils à papa dont la seule oeuvre durable est, de l’aveu de tous, son carnet d’adresses, eût été relégué de longue date parmi les ratés de bonne famille. Mais la France est trop sociable pour cela. A la différence des Anglo-Saxons ou de l’Italie, la France officielle ne connaît pas le débat de fond. Rompre pour des questions de principe et d’idées, dans la haute société, est une inconvenance simplement impensable. Le grand bourgeois s’abêtit mais ne rompt pas. D’où l’exceptionnelle résilience du fantoche. Ridiculisé — en terrain ami, pourtant — lors de sa tournée de conférences américaine, sifflé dans tout pays libre, il est la risée du monde entier, à l’exception de quelques régimes récents et douteux en mal de reconnaissance. Son itinéraire d’«intellectuel engagé» dans le monde est balisé de cataclysmes dont il n’a cure, Néron moderne composant son épopée autoérotique sur les ruines fumantes de pays entiers. Pourtant la France lui met toujours à disposition ses caméras, ses plateaux (où il débarque, en diva, flanqué de sa propre maquilleuse!), ses unes et ses heures de pointe, ses services diplomatiques et ses forces armées, comme si elle tournait en grandeur nature une farce de Sacha Baron Cohen, dit «Borat».
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Lun 2 Mar - 22:22
Le 20 Heures, ma madeleine de Proust 2015-03-01 20:01:51
Je n’ai pas de télévision; c’est pourquoi elle m’impressionne tant lorsque je la regarde. Voir in extenso les nouvelles sur France 2 ou TF1, c'est ma madeleine de Proust! Me voici replongé dans le système totalitaire décrépit où je suis né. Nouvelles de la JRT (Radio-télévision yougoslave), années 1980. Economie effondrée, société éclatée, pouvoir discrédité et conflits ethniques qui couvent… Ne restait, pour faire tenir tout cela ensemble, que le mensonge systématique, compact et rassurant qui, chaque soir à 19h30, donnait à un peuple ravalé au rang de masse abrutie le sentiment que le système tenait encore. L’art du pouvoir moderne commence par la mainmise sur les médias, mais on oublie que son point de départ est aussi sa fin. Le 11 janvier dernier, le pouvoir français organisait une procession-Potemkine pour la nomenklatura mondiale dans une rue déserte sécurisée en marge de la manifestation populaire des «Je suis Charlie». Pour oser une telle mise en scène, il devait à la fois se fier à la complicité sans faille de ses médias de masse et s’aveugler profondément sur les conditions de la réalité qui l’entoure. Pouvait-il ignorer que le montage allait être éventé dans les minutes qui suivaient via les réseaux sociaux? Oui, il le pouvait. Comme il peut ignorer le sentiment de sa propre population à son égard et ne voir aucun des signes évidents de sa fin. L’autoréférence est le propre des systèmes totalitaires. Ils ne prennent connaissance de la réalité qu’au moment de leur mort.
Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Lun 2 Mar - 22:29
28 juin 1914. In memoriam Gavrilo Princip Gavrilo
Gavrilo Princip, dont le nom et le prénom sont à eux seuls un destin et une prophétie, n'avait pas encore vingt ans le 28 juin 1914 lorsqu'il abattit le prince héritier d'Autriche-Hongrie François-Ferdinand et son épouse la comtesse Chotek.
Lors de son procès à l'automne 14, l'Empire, qui exterminait déjà en masse les populations civiles dans la Serbie voisine, avait tenu à persuader le monde de son respect minutieux du droit. Au lieu de le pendre à l'instar de ses camarades révolutionnaires, il condamna cet étudiant mineur à vingt années de bagne.
Mais c'était la pendaison qui était une grâce!
Gavrilo fut claquemuré dans la sinistre forteresse de Theresienstadt (Teresin) en Bohême, celle-là même où les nazis, une génération plus tard, installeraient un camp de concentration modèle pour berner grossièrement la Croix-Rouge. Laquelle, à l'époque, ne demandait qu'à se laisser convaincre. On était entre gens civilisés, n'est-ce pas?
A Teresin, Gavrilo fut assassiné à petit feu par la faim, le froid, l'humidité, les insultes et les mauvais traitements. Amputé, épuisé, il finit par s'éteindre le 28 avril 1917, après avoir professé jusqu'à son dernier souffle sa foi dans la victoire de la Serbie et, avec elle, celle des peuples slaves.
La Jeune Bosnie, dont il avait fait partie, était composée de fous intrépides nourrissant un espoir aussi fou et aussi intrépide. Si l'on oublie aujourd'hui la noblesse de leur cause, c'est parce que les empires ont repris la main. Il est donc utile de rappeler pourquoi ils avaient déposé leurs très jeunes vies. Ils voulaient la libération des peuples, l'égalité des hommes, la dignité pour les plus démunis. Ils étaient paysans, artisans, instituteurs, poètes. Ils comptaient même un futur Nobel, Ivo Andrić. Ils se moquaient des partages religieux, communautaires, ethniques. Ils ne voyaient pas d'autre alternative à la liberté que la mort. Ils nous manquent!
Gavrilo-Kusturica
Emir Kusturica embrassant le monument à Gavrilo Princip, avril 2014.
Le romancier américain Hans Koning (1921-2007) a consacré un roman débordant de duende à l'agonie du jeune anarchiste. Death of a Schoolboy (Mort d'un écolier), en attente de publication aux éditions L'Age d'Homme, se termine par la confession d'un des soldats tchèques qui avaient été commis à la garde de Gavrilo.
Mort d'un écolier Notre Empire s’est effondré et a accepté l’armistice le 3 novembre 1918. C’était un dimanche. J’étais sur le front de Trévise à l’époque, vivant à l’arrière dans un abri de boue, marquant le pas comme un million d’autres hommes craignant d’être abattus pour désertion si nous en sortions un jour trop tôt pour rentrer chez nous. Mais une heure après qu’ils aient sonné le cessez-le-feu il n’y avait plus là âme qui vive. Je n’ai pas réussi à monter sur un fourgon ou dans un train et j’ai marché la plupart du chemin pour rentrer à la maison. Le vingt-cinq novembre j’étais de retour à Theresienstadt.
La ville avait un aspect horrible. Trente centimètres et quelques de boue, des ordures répandues partout, pas d’éclairage dans les rues, pas d’électricité. Aux devantures des magasins on voyait des caisses vides et les boutiques étaient désertes. Des femmes et des enfants gris et en haillons faisaient la queue sous cette foutue pluie en attendant leur ration de pain de soixante grammes de gruau cuit au four. Mais le moral de notre ville était superbe ! La raison en était que les Allemands et les Autrichiens se retiraient. Theresienstadt allait devenir Teresin. Sur la forteresse flottait un nouveau drapeau, rouge, bleu et blanc, le drapeau de la Tchécoslovaquie.
J’aurais aimé aller dans mon ancienne salle de garde chercher les clefs et aller ouvrir la cellule de Princip. Ç’aurait été un beau geste par une journée comme celle-là.
C’était trop tard.
Mais je savais où il était enterré, moi et personne d’autre au monde. Je suis resté seulement une heure auprès de ma famille puis je suis allé au cimetière. C’était au milieu de l’après-midi mais il faisait presqu’aussi sombre qu’en cette nuit d’avril. J’avais la page de mon livret de paye. La porte était là, les tournants et la haie, rien n’avait changé. J’ai tout repensé jusqu’à ce que je sois sûr d’être exactement à l’endroit. Puis j’ai dessiné un cercle dans la terre avec une branche, aussi profond que j’ai pu et je me suis agenouillé et ai dit une prière pour lui. J’ai planté la branche dans le sol. Quand je suis rentré en ville, j’ai vu une baraque où deux femmes étaient en train de vendre le nouveau drapeau tchécoslovaque. Je crois que c’était à peu près la seule chose qui fût en vente libre à Teresin-Theresienstadt à ce moment-là.
Ce n’étaient pas des drapeaux de bonne qualité mais ils n’étaient pas en papier. C’était un exploit. Je me demandai où elles s’étaient procuré le tissu.
Je m’arrêtai et les regardai un moment. Ça n’était pas des drapeaux serbes, bien sûr. Le dessin était différent. Mais les couleurs étaient les mêmes, rouge, bleu, blanc. J’en ai acheté un et je l’ai rapporté à la maison. Ils ont cru que j’étais fou mais j’ai attendu que ma sœur le coupe et le recouse. Je n’ai même pas ôté mes bottes.
Puis dans la dernière lumière du jour, avec un peu de soleil rouge perçant à travers ces nuages de pluie, je suis reparti pour un dernier tour au cimetière. Ma branche s’était déjà couchée et je l’ai jetée. J’avais apporté une ficelle et un piquet pris dans la boîte à outils de mon père et, au-dessus du corps de Princip, j’ai planté le drapeau de la Serbie. •
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Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Lun 16 Mar - 16:56
Le début du printemps coïncide désormais en Serbie avec le souvenir d’une amère moisson: les 78 jours de bombardement continu sur le pays que l’OTAN a déclenché le 24 mars 1999 suite à l’échec des faux pourparlers de Rambouillet. Alors que le gouvernement et les médias, désormais, préfèrent garder le silence sur cette affaire et mettent sous clef les témoignages et les archives, les réseaux sociaux fourmillent encore de réminiscences et de légendes. L’une d’elles, parmi les plus touchantes, m’a été signalée par mon ami Boris Lazić. On l'aperçoit çà et là sous son casque trop grand, le regard aigu et fier et la crinière blonde ramenée en catogan. Diane chasseresse des temps modernes, elle porte en bandoulière un tube antichar en lieu et place du carquois. Sous la photo, son nom: Ljiljana Žikić-Karadjordjević. Et sous le nom, un slogan: Car la Serbie a oublié pourquoi!
Les divers sites et journaux se repassent, à peu de chose près, la même notice, maigre et formelle : Ljiljana Žikić-Karadjordjević, née le 9 mars 1957 à Kragujevac, était volontaire au sein de la 125e brigade mécanisée durant l’agression conjointe de l’OTAN et des terroristes albanais contre la Serbie au printemps 1999. Elle est tombée au combat le 1er avril 1999 aux abords du village de Ljubenić, commune de Peć, au Kosovo. Elle a été décorée à titre posthume de l’Ordre du mérite de la Défense. Elle était mère de six enfants. On ne sait rien sur les circonstances de sa mort. Cela importe peu, du reste. Bombe de l’OTAN ou balle de l’UÇK : ce printemps-là, c’était un seul et même ennemi. On n’en sait pas davantage sur les circonstances de sa vie. Des anonymes, sur les réseaux, prétendent qu’elle avait, dans l’espoir de devenir princesse, eu une liaison avec feu le prince Tomislav Karadjordjević — et qu’elle s’était du même coup approprié le patronyme royal. D’autres (ou les mêmes) rajoutent qu’elle était une femme de mauvaise vie qui avait abandonné ses enfants au fur et à mesure qu’elle les pondait. Des juges un peu plus cléments concèdent qu’elle était partie au front pour expier ses péchés… A l’autre bord, des défenseurs vitupèrent ces mauvais esprits — des trolls dans le langage du net — et demandent leur exclusion. D’aucuns disent l’avoir rencontrée, au Kosovo, mais sous un autre nom. Untel précise même qu’elle a péri dans un VTB avec trois autres soldats lorsqu’ils furent touchés par un tir de mortier. Les plus fervents lui dédient des poèmes ou des prières. A mesure qu’on se plonge dans les commentaires, on se détourne un peu de l’icône pour essayer d’imaginer ces regards fixés sur elle et qui marmonnent, tapis dans l’ombre. Les chœurs de nos tragédies contemporaines s’appellent désormais des fils de discussion. Ceux-ci révèlent une nation aigrie ou désespérée, crédule ou cynique, massivement désœuvrée et, surtout… masculine. Les commentaires qu’on devine féminins sont rarissimes. La volontaire aux six enfants a-t-elle vraiment existé ? N’est-elle pas une héroïne trop idéale? Mais est-ce si important ? Les vies de saints valent par l'impression qu’elles laissent, non par leur rigueur biographique. Il nous reste tout de même quelque chose d’elle, ou en tout cas de cette époque-là, il y a seize ans, dont des siècles nous séparent déjà. Un journal avait recueilli un poème d’elle, intitulé « Je défendrai la Serbie, même morte », un hymne antique et puissant qui commence ainsi : Et quand je serai morte, je vais me redresser Pour rester immobile, tel un roc fort et fier, Mon regard scrutera à jamais la frontière, Pas même ma tombe ne pourra m'effacer. Il y a longtemps que les poètes (masculins) ne laissent plus de vers aussi virils — signe que ceux-ci sont authentiques. Elle, en plus, elle a tenu promesse. Seize ans plus tard, l’ombre de cette jeune mère continue de veiller sur une nation que ses politiques ont trahie et que ses hommes, de honte, n’osent plus défendre. Ses hommes se terrent derrière leurs écrans et brodent des légendes, noires ou dorées, sur une Antigone imaginaire ou, plus vraisemblablement, une jeune femme qui avait eu les couilles de dérouler son destin de mère et de combattante jusqu’à son accomplissement parfait. Une femme somme toute ordinaire, car les femmes d’aujourd’hui vont souvent au bout de leur destin, à la différence des hommes. A l’ère d’Houellebecq, les hommes sont tout juste bons à rédiger des notes de bas de page. Le destin de la Serbie, comme celui des autres nations d’Europe, se conjugue désormais au féminin.
Dernière édition par Nadezda le Mar 29 Sep - 11:10, édité 1 fois
Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Lun 18 Mai - 12:34
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Sam 17 Oct - 8:53
Russie = Poutine, ou le cerveaulavage à jet continu
Si l'Etat français (par un improbable miracle) cherchait à racheter le château de l’Aile à Vevey où vécut Paul Morand, la presse locale écrirait-elle: « La villa suisse que HOLLANDE convoite » ? Non, car un tel titre exprimerait une initiative strictement personnelle du président de la République. En revanche, lorsque l’Etat russe souhaite racheter la propriété d’un compositeur faisant partie du patrimoine musical mondial – et russe en particulier —, il ne peut s’agir — encore — que d’une lubie de Vladimir Poutine. Surlignage rouge et photo en médaillon: l’article ne laisse aucun doute sur le caractère autocratique de la démarche. Le titre et la mise en page laissent entendre que M. Poutine, comme tant de potentats avant lui, convoite une villa suisse pour un usage personnel. Il serait intéressant de vérifier combien de lecteurs auront lu plus loin. Les Russes sont un peuple bourré de défauts horripilants, mais il faut leur laisser une chose : ils n’ont besoin de personne pour leur expliquer ce qu’est un patrimoine culturel. Ils y ont toujours investi des moyens sans proportion avec le niveau de vie moyen. Ce goût ne tient ni au régime en place ni à la personne du chef de l’Etat. Le nom de Rachmaninov, comme ceux de Prokofiev, Riépine, Pouchkine ou Akhmatova, n’est pas qu’une entrée d’encyclopédie, mais une présence réelle dans l’âme et le coeur d’une grande majorité des Russes. Le rachat de la maison Rachmaninov leur semblerait aussi naturel que l’eût été le rachat de l’hôtel Gibbon à Lausanne par la Couronne britannique, si ses sujets savaient encore qui était Gibbon, et si les Lausannois n’avaient pas démoli sans état d’âme cette maison historique. On ne se rend pas en Russie, du reste, pour des parcs d'attractions ni des shopping malls, mais pour le théâtre Bolchoï, la galerie Tretiakov ou le musée de l’Ermitage. Les Russes sont aussi, soit dit en passant (car vos médias ne vous le diront pas), le peuple le plus instruit au monde selon les critères académiques, devant le Japon et le Canada. Réduire la politique de leur Etat à la volonté arbitraire de leur président, c’est les ravaler à un troupeau de bovins menés par l’anneau nasal. C’est un a priori inepte qui trahit, de la part des médias occidentaux – suisses en l’occurrence — une méconnaissance profonde du sujet et une volonté systématique d’enfermer le sujet « Russie » dans des stéréotypes confinant à l’idiotie. Cet article paru en double page dans le Matin du 12 octobre 2015, qui n’a en principe aucun enjeu politique, trahit bien mieux que les commentaires politiques le fond de la pensée des journalistes. Enfin, pensée… le terme est exagéré. Nulle pensée ne se manifeste ici, pas même une intention malveillante. Il ne s’agit plus que de réflexes pavloviens1, inculqués par cerveaulavage et donc inconscients. Des journalistes ayant atteint un tel niveau de mécanisation peuvent sans délai être remplacés par des logiciels. Les éditeurs de presse feront des économies substantielles et personne ne verra la différence. Repris sur Causeur.fr le 13.10.2015.
Une méditation pour les jours de trêve Les fêtes approchent, et nous pensons à des choses agréables. Nous y pensons d'autant plus fort que les temps sont désagréables.
Pour ma part, je déteste le prêchi-prêcha sentimental (vin-chaud-et-petits-gâteaux-pour-tout-le-monde) sur les démunis et les laissés pour compte qu'on entend partout en cette période où les marchands se frottent les mains.
Je limiterai donc ma propre homélie à cet homme avec qui j'ai passé une vingtaine de minutes sur la ligne 10 du métro parisien, voici quelques semaines, et dont je n'ai reçu qu'un bref regard entre deux somnolences. Il sentait si fort que les trois places autour de lui étaient libres dans une rame bondée. Je lui dois d'avoir pu m'asseoir avec une cheville abîmée et sans mendier une place (ce que je n'aurais pas su faire). Il m'a seulement toisé l'espace d'une seconde, d'un oeil gris et indifférent comme celui d'un cachalot sur le point de replonger dans les profondeurs. J'ai pensé que ces profondeurs-là — profondeurs d'être, de solitude, de liberté aussi — m'étaient inaccessibles, et j'ai murmuré: «Chapeau! Et que Dieu te garde…» Il dormait déjà. Je descendais gare de Lyon, lui allait sans doute jusqu'au bout de la ligne, Château de Vincennes, et retour vers la Défense, et re-retour…
Je suis très sensible du nez. Je m'entoure de parfums. Lui sentait l'humus, mais un humus renfermé dans une cave. Comme lorsque j'ai débarqué à Calcutta, c'était une odeur de vie et de mort étroitement mêlées qui m'a pris à la gorge avant de m'émouvoir jusqu'au fond des entrailles. C'était un cachalot, c'était Merlin, c'était mon ancêtre et c'était mon frère humain, comme des dizaines de milliers de frères humains que nous croisons sur les trottoirs de nos villes sans les voir, l'esprit obnubilé par les drames abstraits qui se déroulent ailleurs que sous nos yeux. Que Dieu le garde !
metro
Encore deux choses... Antipresse.net Avec mon ami Jean-François Fournier, j'ai eu l'idée, la semaine dernière, de lancer une lettre d'information intitulée L'Antipresse. A notre grande surprise, nous avions recueilli 350 abonnés avant même la parution du n° 1, dimanche dernier. Ce jeudi, nous voici à mille! Mille lecteurs pour une seule parution, cela tient du raz-de-marée! Il faut croire que les assoiffés de réflexion sont nombreux. Merci à tous ceux qui se sont abonnés. Si la lettre vous a plu, merci également de la diffuser autour de vous, avec l'adresse du site: http://www.antipresse.net.
Au sommaire du n° 2: la disparition programmée de la presse écrite, les camions inexistants du désert syrien et un entretien surprenant avec le désinvité de la semaine au sujet du succès et du sens des séries télévisées…
Les voeux de Noël des éditions Xenia Repris du blog des éditions.
Chers amis, lecteurs, auteurs,
Je ne veux pas encombrer votre boîte e-mail de messages convenus et formels. Tout en vous souhaitant de très belles fêtes de Noël, je me permets simplement de vous signaler les dernières parutions des éditions Xenia. Il s'agit de quatre ouvrages d'émerveillement et de réflexion qui, me semble-t-il, constitueraient de beaux présents pour des personnes encore attachées aux soins de leur âme et de leur vie intérieure.
Bonnes fêtes et une heureuse et sereine année 2016!
Slobodan Despot, directeur des éditions Xenia
Nouveauté
Patrick Champenois : LE CIEL SANS PÂLIR Instructeur parachutiste, le général Patrick Champenois est également un dessinateur et aquarelliste hors pair. Dans cet album d’une étonnante force d’évocation, il retrace — en texte et en images — tout le parcours de l’initiation para.
Album | Beaux livres | ISBN 978-2-88892-197-4 | 22,5x22,5 cm., 96 p.
Michel d'Anielo : LE BONHEUR PAR LA SAGESSE Les mots d'auteurs nous font découvrir le voyage de la vie : on va d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre, bon an mal an. Ces citations sont nos compagnes, de déceptions en émerveillements, de chagrins en illuminations, de plaisirs en douleurs, de découvertes en oublis.
Encyclopédie | Philosophie | ISBN 978-2-88892-195-0 | 11,5x16,5 cm., 224 p.
Jean-Daniel Nordmann : AUTREMENT DITS L’aphorisme est peut-être l’état naissant de la pensée. L’homme, la politique, Dieu, l’amour, l’école, le temps, la mort, la liberté : autant de questions que l’auteur se risque à penser au vol, jetant sur des sujets souvent rebattus des lumières surprenantes, voire déroutantes de bon sens.
Aphorismes | Philosophie | ISBN 978-2-88892-193-6 | 11,5x16,5 cm., 144 p.
Eric Werner : LE TEMPS D'ANTIGONE Dix ans après la "Maison de servitude", Eric Werner poursuit son enquête sur l’autonomie et la noblesse de l’être humain. De l'héroïne de Sophocle à Charlotte Corday, Sophie Scholl ou Chelsea Manning, qu'est-ce qui commande la résistance silencieuse et absolue au Mal, allant jusqu'au don de soi?
Essai | Philosophie | ISBN 978-2-88892-196-7 | 13x20 cm., 160 p.
Editions Xenia. Osez lire ce que nous osons éditer !
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Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mar 29 Mar - 17:41
Un remarquable texte sur Kusturica, paru dans "Antipresse" par Slobodan Despot.
LES CITÉS DE KUSTURICA, UNE UTOPIE EN ACTE
« Que soit ce qui être ne peut. » (Pierre II Petrović Njegoš, La Couronne des montagnes)
Un destin plus fort que l’œuvre
Qui peut nommer cinq chansons de Bowie ? Qui se souvient encore des buts de David Beckham ? Des exploits maritimes de Kersauzon ? Qui pense littérature quand on lui parle d’Elie Wiesel ? Il est de ces célébrités propulsées par des fusées à plusieurs étages, chaque moteur consumant le précédent, pour finir dans les hautes orbites de la gloire mondaine. Et il en est dont la seule présence au monde enveloppe et éclipse leur œuvre, quelque puissante qu’elle soit. Leurs réalisations, même sublimes, ne sont que les fragments d’un projet supérieur qui est la destinée même de leur créateur.
L’hôte de Küstendorf est de ces êtres-là. Cinéaste, musicien de rock, acteur, écrivain, Emir Kusturica est entré dans le XXIe siècle comme entrepreneur, bâtisseur et hôtelier. Mais l’histoire ne le réduira à aucun de ces titres. C’est en tant que témoin essentiel et qu’opposant par l’idée et l’acte à l’abolition globale de l’humanité qu’il apparaîtra aux nouvelles générations. Qu’il leur apparaît déjà.
* Emir Kusturica est né en 1954 à Sarajevo dans la famille d’un fonctionnaire du ministère de l’information, musulman laïc. Les jalons de sa vie retracent un itinéraire hors du commun.
A 24 ans, il est diplômé de l’Académie du cinéma de Prague.
A 27 ans, il reçoit le Lion d’Or de Venise pour *Te souviens-tu de Dolly Bell ? *, son premier long-métrage de cinéma.
A 31 ans, son deuxième film, Papa est en voyage d’affaires, lui vaut la Palme d’Or de Cannes qu’il ne pourra venir chercher, étant occupé — prétendra-t-il — à poser le parquet chez un ami.
A 35 ans, il reçoit la Palme d’Argent et le Prix spécial Roberto Rossellini pour Le Temps des Gitans et remplace Milos Forman à la chaire de cinéma de l’université de Columbia, à New York.
A 39 ans, il tourne Arizona Dream avec Faye Dunaway, Johnny Depp et Jerry Lewis. Son premier film en langue anglaise remportera l’Ours d’Argent et le Prix spécial du Jury au festival de Berlin en 1993.
A 41 ans, Underground provoque une nouvelle bataille d’Hernani en France et lui rapporte sa deuxième Palme d’Or. Il prend part à une bagarre générale lors du dîner de gala, dont Carole Bouquet aurait été l’objet.
A 44 ans, avec Chat blanc, chat noir, il décroche le Lion d’Argent de Venise.
A 46 ans, il joue dans La Veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte avec Juliette Binoche.
A 48 ans, il apparaît dans L’Homme de la Riviera de Neil Jordan dans le rôle d’un guitariste qui répète obsessionnellement des riffs de Jimi Hendrix.
A 50 ans, il tourne La Vie est un miracle dans les montagnes perdues de la Tara. Pour cette production, la plus coûteuse du cinéma serbe, il construit un vrai-faux village traditionnel. Cette fable lui vaudra un César du meilleur film européen et son décor deviendra Drvengrad (Ville-de-Bois), sa citadelle, elle-même récompensée par un prix européen d’architecture.
A 51 ans, de tête froide, il se convertit à l’orthodoxie et prend le prénom archaïque de Nemanja, roi fondateur de la dynastie des némanjides et père de saint Sava, fondateur de l’Eglise orthodoxe serbe. La même année, il préside le jury à Cannes.
A 53 ans, il adapte son Temps des Gitans en opéra-rock à l’Opéra Bastille.
A 54 ans, il tourne un documentaire bolivarien à la gloire du Pibe Diego Maradona, qui lui vaudra une ferveur sans bornes dans l’Amérique du Sud.
A 61 ans, il retourne en Amérique du Sud pour filmer Pepe Mujica, le chef d’Etat le plus humble du monde.
Pèlerinage dans un conte de fées
A 62 ans, en janvier dernier, Emir-Nemanja Kusturica inaugurait son neuvième festival du film et de la musique de Küstendorf (l’appellation en « allemand de cuisine » de la Cité de Bois). Je me suis décidé cette année à voir ce symposium du bout du monde qui rassemble des centaines d’étudiants, de militants altermondialistes, de producteurs, de journalistes, sans oublier quelques grands noms du cinéma.
Le reste de l’année, la citadelle est un village-hôtel « ethno ». On y loge dans son petit chalet très propre aux murs peints de figures naïves, on peut y nager, se promener, courir, regarder des films dans le vaste cinéma aménagé sous le restaurant et la piscine. Pour une pension modique, on mange de la nourriture du terroir, savoureuse et sans prétention. Et l’on risque à tout moment de faire des rencontres surprenantes, dont celle du maître des lieux lui-même, qui y habite lorsqu’il n’est pas en tournage ou en tournée. J’y étais passé plusieurs fois, en touriste. Lors d’un de ces passages, on m’avait dit que je venais de rater Monica Bellucci. Bellucci, la plus belle actrice au monde, dans ces montagnes reculées… Oui, elle est en tournage dans la région depuis 2013, sur La Voie lactée, un projet à rallonges auquel Kusturica tient beaucoup. La même année, elle participait au festival. Peut-être est-ce un peu à cause d’elle que j’ai décidé de ne pas manquer cette grand-messe.
Et Küstendorf est vraiment the place to be dans l’hiver cinématographique européen. Pour faire affluer cette foule des quatre coins du monde vers l’une des régions les moins accessibles d’Europe, au plus fort de l’hiver, dans un pays où l’entretien des routes est souvent aléatoire, il faut vraiment que le lieu et l’événement exercent un pouvoir de fascination particulier.
On peut y venir de l’ouest, refaisant symboliquement l’héjire du Maître lui-même, enfant de Sarajevo retranché dans les montagnes de Serbie. Il faut pour cela quitter la capitale bosniaque, juxtaposition hâtive de buildings d’affaires façon Djakarta et de quartiers austro-turcs en décrépitude. Se hisser sur les bords de la cuvette et bifurquer avant l’arrivée à Pale, la station de ski qui fut le QG de Radovan Karadžić. Dès lors commencent des terres de mystère. Il faut traverser un haut plateau farouche, parsemé de pins et de scieries, où les orages tuent le bétail et blanchissent les antiques tombeaux cathares. Atteindre par des bourgades oubliées la Drina aux eaux couleur matcha, qui sépare Bosnie de Serbie et Rome de Byzance. Longer ses méandres par des tunnels obscurs. Et déboucher soudain sur une merveille d’architecture ottomane, l’illustre Pont sur la Drina, héros du plus fameux roman du prix Nobel de littérature yougoslave, Ivo Andrić. Dans la blancheur crème de son bâti, la simplicité de ses lignes, l’élégance de ses arcs, ce chef-d’œuvre du XVIe siècle arrête à lui seul la course du temps. Sur sa rive droite, la vieille cité de Višegrad, défigurée par la modernité socialiste. Et un peu plus bas, une citadelle hors d’âge, et pourtant flambant neuve, célèbre la noblesse de la pierre. C’est Andrićgrad, le complexe que Kusturica vient de construire en hommage à son écrivain favori.
On se croirait arrivé, on voudrait toucher du doigt ce mirage, mais il reste trente kilomètres de lacets à parcourir jusqu’à la Cité de Bois, et une frontière d’Etat à passer. On ne met à réfléchir qu’une fois arrivé. Vingt ans sont passés, mais vous vous apercevez que les fantômes de la guerre vous ont accompagné tout le long du voyage.
On peut aussi venir de l’est. A quatre heures de route de l’aéroport de Belgrade, derrière un canyon abritant pas moins de dix monastères, commence la Tara, un haut plateau cerné de montagnes sauvages. C’est l’autre extrémité des terres de mystère. Les chalets tordus éparpillés sans ordre sur les coteaux ressemblent à des chèvres qui se boudent. Ici somnole le très vieux village de Kremna où deux paysans du XIXe siècle livrèrent d’étourdissantes prophéties portant jusqu’à notre époque et au-delà. La plus humble clôture, comme l’a pathétiquement déclaré un démagogue local, y est plus ancienne que les États-Unis d’Amérique. On a découvert aux environs de lourdes pierres parfaitement sphériques dont nul n’a expliqué l’origine. Lorsque vous arrivez enfin sur le haut plateau, la témérité kamikaze des chauffeurs de camions croisés en route vous fait sentir la main protectrice de la Providence posée sur vos cheveux.
La plupart des pèlerins arrivent en autocar. Quelques invités de marque ont droit à l’hélico du cinéaste. J’y suis monté cette fois-ci dans la voiture de mon imprimeur belgradois, un ancien officier, qui avait décidé pour une raison de lui seul connue que je ne devais pas me mêler à la foule. Nous avons ramassé en route un troisième larron qui connaissait les routes et les auberges. Chacun avait une besace lourde d’histoires — de guerre, de contrebande, de femmes — qui toutes auraient pu inspirer un scénario pour « Kusta ». Ils parlaient de lui comme d’un personnage familier, d’un proche, alors qu’ils ne l’avaient peut-être jamais rencontré. N’importe : tout le monde le connaît. « Nous allons te livrer au Professeur, et après… c’est plus notre affaire ! »
Le Professeur : c’est ainsi que tout le monde l’appelle, à Küstendorf. Référence à ses années d’enseignement à Columbia ou en Yougoslavie, bien entendu. Manière aussi d’éviter le dilemme du prénom : Emir, le prénom ancien que le monde entier connaît, ou Nemanja, le nom de baptême initatique ? Professeur, malgré sa dégaine de rocker, lui va comme un gant. A tout instant, quelque chose est enseigné ici. Et ce n’est pas la technique ou l’esthétique du cinéma. Peut-être une esthétique de vie au sens le plus large.
J’avais renvoyé mes compagnons de route pour leur épargner la conduite de nuit. Je passai quelques heures à la réception, seul, en attendant qu’on trouve où me loger. Le hameau paisible était devenu une caserne où chaque couchette était comptée. J’ai contemplé les visiteurs qui affluaient par vagues. Soudain, un petit remue-ménage : voici Matteo Garrone, le surdoué réalisateur de Gomorra. On a annoncé Jacques Audiard, mais il n’arrive que le lendemain. Des Asiatiques errent en groupe, déroutés. Un vieux sac à dos poivre-et-sel trahit la Suissesse alter qui s’équipe au surplus de l’armée. Une jeune femme va et vient, débordée, le mobile collé à la joue : c’est la coordinatrice chargée d’arranger mon entretien. Je passerai cinq jours à lui courir après, et elle à courir après le maître.
« On vous a trouvé une chambre solo », m’annonce finalement la réceptionniste. « Vous avez de la chance… mais c’est à l’Echarde. » L’Echarde, est un chalet de ski en bordure de la piste que le Professeur a aménagée huit kilomètres plus haut, dans une montagne déserte. Il fait -25° ce soir-là et ma navette part aux alentours de minuit — puis à 2 et 4 heures du matin, car le village vient d’adopter le fuseau horaire de la vie de bohème. L’Echarde est la plus éloignée des métairies de Küstendorf. J’y arrive, unique passager, après plus d’une demi-heure de route sur la neige, sans rien voir à travers les vitres gelées. Sur un replat, le chauffeur s’arrête, se tourne vers moi et bougonne : « Je ne vais pas plus loin. Il ne vous reste que cinq minutes à pied. »
Me voici soudain dans Dracula : on me joue la scène du cocher terrorisé.
« A pied ? Mais de quel côté ? » La nuit était sans lune.
« Vous voyez la lueur, là-bas ? »
A bien regarder, il y avait une lueur parmi des sapins très hauts, en contrebas, et un sentier qui y menait. Mais la situer à cinq minutes…
« Je risquerais de ne plus pouvoir remonter. Vous êtes chez vous, de toute façon… » Et il disparut en faisant tousser son diesel.
Il ne me restait qu’à suivre le chemin sous une voûte plus sombre et des étoiles plus proches que je ne les avais jamais vues. Très vite, j’aperçus un chalet immense, aux toits multiples tombant en cascade. Je marchais dans une féérie. Dans un film.
Il m’a fallu quelques minutes, au réveil, pour comprendre où j’étais. Je doutais même de la manière dont j’étais arrivé dans cette chambrette qui sentait fort le pin. Je me rappelais une réception déserte où il m’avait fallu poireauter, un bar tous feux éteints où des silhouettes buvaient du whisky et se parlaient en russe, un abat-jour peint de scènes naïves au-dessus d’une couche austère… puis plus rien.
Rencontre sans mots
Je suis redescendu à pied. Deux heures de marche à travers un paysage immaculé et des mamelons blancs à perte de vue. M’accompagnait un silence si profond qu’il créait comme une dépression dans les oreilles. Le contraste était absolu avec les sensations de la veille. Une foule dense et attentive avait empli le cinéma pour la soirée inaugurale. Cela avait commencé par un spectacle techno-tzigane digne du Temps des Gitans, dont le niveau sonore vous déplaçait les entrailles. A la fin de la saynète, un troupeau d’oies fut lâché dans la salle, conformément au slogan de l’édition 2016 : « Les oies sauveront le cinéma ». Pourquoi les oies ? Demandez-le au patron, qui apparaît au même moment en tenue de cuisinier, une louche à la main. Tout était décontracté, « maison », familier, inattendu.
Je comptais rester deux ou trois jours, le temps d’enregistrer mon entretien. J’avais obtenu, via son épouse, la promesse de deux heures tranquilles pour une conversation générale débordant le strict cadre du Septième art. D’emblée, je me suis demandé où il trouverait une si longue plage de tranquillité dans ce maelström. Le Professeur n’étant pas disponible le premier jour, je me suis plongé dans le festival. La compétition portait sur les courts métrages de dix-sept jeunes cinéastes. L’Œuf d’Or a été décerné cette année au Hongrois David Borbas pour son film Wartburg. En marge des séances de concours, on pouvait y voir un bon choix de films actuels, ainsi qu’une rétrospective consacrée à Jacques Audiard. Les cinéastes présents, ainsi que le Professeur lui-même, échangeaient avec le public après chaque séance. A minuit, après les dernières projections, commençait la partie « musique » du festival. Se coucher avant quatre heures du matin était presque incongru.
Dans les intervalles, on pouvait tuer le temps dans les bars et pâtisseries du village, nager, se promener ou manger, à n’importe quelle heure et gratuitement, au restaurant central. Je ne tardai pas à rencontrer de vieilles connaissances et à m’en faire de nouvelles. J’ai enregistré à l’impromptu, autour d’un verre de vin, un entretien avec Jacques Audiard sur son impressionnant western de banlieue, Dheepan. J’ai rencontré l’étonnant chercheur Jean-François Noubel, avec qui j’ai passé quelques heures à discuter de la synchronicité et de l’inexistence du hasard. Bu avec un jeune cinéaste japonais qui avait une descente de Slave. Mais ma rencontre avec le Professeur tardait. Tour à tour, il accueillait des invités, organisait des visites à Andrićgrad, résolvait des imprévus, déjeunait avec des sponsors. Je me suis aperçu que personne, pas même ses proches, ne connaissait l’agenda de ses journées. Par trois fois, nous nous sommes donné rendez-vous. Deux fois, nous dûmes renvoyer. La troisième, il s’effondra de fatigue après quelques phrases. Hormis les brèves déclarations de circonstance pour les télévisions locales, le Professeur n’a finalement accordé aucun entretien durant ce festival. Même une équipe de la TV russe qui avait fait le déplacement exprès est rentrée bredouille. Cinq jours durant, je l’ai vu survoler son festival d’un regard las et rentré, l’attention décidément rivée à des étapes ultérieures que lui seul connaissait.
Synchronicité ? Pressentant dès le début que l’opération serait aléatoire, j’ai ramassé tous les ouvrages du cinéaste traînant sur mon chemin — tous les établissements sont parsemés d’étagères de livres —, ainsi que ceux qui lui sont consacrés. J’ai marché, parlé, observé. Et j’ai conclu que cette incommunication elle-même avait sa place dans la stratégie générale du projet K. Plutôt que de me contenter de mots, elle m’obligeait à percevoir et interpréter les langages muets — ceux des actes et des formes — dont les lieux étaient surchargés. On pouvait entrer dans l’univers de K par son œuvre cinématographique, du reste largement commentée. Mais ce n’était qu’un des portails. Les autres étaient là, sous mes yeux, mes pas et mes doigts. Ce séjour fait d’attente et d’imprévu m’a inspiré des réflexions sans fin sur le rapport entre rêve et volonté, entre art et réalité, entre les stratégies sociales et le respect de la juste voie que nous portons en nous. Et par-dessus tout, il m’a donné une idée de ce qu’est la vraie liberté, nue et sans entraves.
Topographie intérieure
Comme l’itinéraire du Petit Poucet, l’univers de Kusturica se dévoile à la manière d’un jeu de piste.
Si Bénarès est la plus ancienne des villes habitées, Drvengrad alias Mećavnik alias Küstendorf est l’une des plus récentes, mais presqu’aussi mystique. Elle se déploie autour d’une place pavée — la place Nikola Tesla — dominée par son église, de style typiquement vieux slave. L’église, bien que petite, est réelle, avec ses icônes et ses cierges perpétuellement allumés. A côté de l’église, une limousine soviétique des années 60, puis la maison du Professeur. Jusqu’il y a peu, une statue en bois grandeur nature de son ami Johnny Depp veillait sur la place. Elle est paraît-il en réfection.
Un degré plus bas : la prison municipale « Humanisme & Renaissance », qui est en réalité un cellier. Derrière les barreaux, pour l’éternité, grimacent les visages de George W. Bush et Javier Solana, larbin en chef de l’OTAN au temps du bombardement de la Serbie. A quelques pas de là, la Maison des Ecrivains, ornée d’un immense portrait de Dostoïevski. Le centre récréatif en contrebas porte le beau nom de Cour maudite, d’après la célèbre nouvelle d’Ivo Andrić. On mange au Visconti, on s’abreuve au Kapor Bar, hommage au merveilleux peintre, écrivain et humoriste Momo Kapor… La nourriture est entièrement locale. On ne trouve ni Coca-Cola ni un quelconque produit issu d’une multinationale.
* > « La nationalité est pour moi une culture. C’est pourquoi je fais mon mieux pour aider cette région à préserver son identité. Car l’identité, pour moi, c’est aussi la mémoire. L’uniformisation est si puissante dans le monde actuel et dispose d’outils si puissants que, sans de gros efforts, nous sommes perdus. Et je fais de mon mieux pour ne pas me perdre. » * Après l’église, l’autre noyau du village est son cinéma, étonnamment vaste, dédié à Stanley Kubrick. Entre ces hauts lieux, des chalets qui eussent ravi les frères Grimm, tout en lambris et tavillons, entièrement peints de scènes naïves et gaies.
Drvengrad est l’hypostase d’un rêve démesuré. Un artiste visionnaire y a eu carte blanche pour matérialiser son univers intérieur. Le plan des lieux est le reflet exact de ses goûts et de ses passions. Rue Fellini, place Andréi Tarkovski, rue Bruce Lee, rue Jim Jarmush, Place Diego Armando Maradona, rue Jean Vigo, rue Che Guevara, place Novak Djoković… Pour découvrir le panthéon kusturitsien, il suffit de savoir lire le cyrillique. Il combine à parts égales le cinéma — populaire et d’avant-garde —, la littérature, les gloires nationales et les figures historiques de la résistance, socialiste et populaire. L’idée m’a effleuré que si Orwell avait vécu, et s’il avait connu l’univers slave, ses modèles eussent été à peu près les mêmes.
Une promenade dans Andrićgrad donnerait à peu près les mêmes résultats. Si le bois est ethno, la pierre est rétro, mais les hiérarchies demeurent : l’église et le cinéma d’abord. Puis la place Renaissance avec en son centre la sombre figure de bronze d’Ivo Andrić, l’аustère et véridique chroniqueur des gémissements balkaniques sous la férule ottomane. D’une mosaïque imposante, surplombant l’entrée du cinéma, nous dévisagent les assassins de François-Ferdinand, Gavrilo Princip en tête : l’organisation révolutionnaire Jeune Bosnie, moins un manifeste politique qu’un cri de vie et de liberté face à la rigidité morbide de la Monarchie expirante. « Nos ombres marcheront dans Vienne, erreront à la cour, effraieront ces Messieurs », dit la légende. En fait-il trop ? Dans la ville de bois avec ses couleurs criardes, dans la ville de pierres avec sa juxtaposition incongrue de styles et d’époques ? Kusturica fait de l’art populaire avec des yeux qui ont aspiré tout Fellini, tout Dovjenko, tout Eisenstein. Il refuse absolument la culture des castes.
* > Au départ de tout, il y avait l’idée de construire une bourgade sur le modèle des premières communautés chrétiennes qui ont foiré à cause de la psychologie, car dans les espaces confinés, les gens commencent à se manger entre eux. Alors j’ai songé à faire passer le langage du cinéma dans l’architecture. J’ai imaginé une ville qui donne l’impression qu’on y a toujours vécu. Or, non. C’est comme une espèce de faux document borgésien. *
Racines
A une centaine de mètres au-dessus du portail, dans le hameau antérieur à la construction de Drvengrad, trône un chêne très ancien. Une plaque en marbre noir y est incrustée. On y lit : « Inscription des Jovičić — Depuis plus de trois siècles, il résiste à toutes les épreuves, et continue de rassembler, de protéger et de mettre en garde ses Jovičić. » Cela sonne médiéval, mais cela date de 2003, des premiers jours de l’utopie. Partout autour, le marcheur découvre de telles inscriptions mémoriales, ou de minuscules cimetières à deux ou trois tombes. Tout est stèle et mémoire, et tout est flambant neuf, comme si les décennies d’égarement moderniste du XXe siècle n’avaient pas existé.
La mémoire et la quête de racines est le mobile le plus profond de Kusturica. Il le livre dès le début de son autobiographie, Où suis-je dans cette histoire :
« Bien que je sois de ceux qui croient en l'oubli comme formule salutaire de survie, je veux me distancier des tendances actuelles à l'oubli. Aujourd'hui, la foule s'aligne sur les poulets et n'a de mémoire que jusqu'au prochain repas. Du fait, surtout, que l'oubli est une fonction de la théorie de la « fin de l'histoire », qui a submergé le monde dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier. Les tambours du capitalisme libéral nous ont ainsi suggéré d'abandonner la foi dans la culture et l'identité au profit du déferlement de la révolution technologique censée gérer tous les aspects de notre existence et de faire du marché le régulateur de nos processus vitaux. »
La quête mémorielle, chez lui, est à la fois spirituelle, artistique et politique. Les trois aspects sont inextricables. Sa conversion à l’orthodoxie n’était pas, il le souligne, un mouvement de foi, mais une affaire d’identité, de « retour au bercail ». Une grande partie des musulmans de Bosnie se rappellent — ou préfèrent pas se rappeler — qu’ils furent chrétiens. Beaucoup de familles connaissent encore le nom de leur saint patron. Et nul n’a d’illusions sur motif de la conversion : survivre ! Survivre à la charia, au devchirmé, à l’infâme condition de dhimmi. Mais les occasions de retraverser le gué sont rares et impliquent un courage dont peu sont capables. Pour Kusturica, cela se traduit par l’exil à vie de sa ville natale et des insultes et menaces de mort récurrentes.
> Mon père était athée et s’était toujours déclaré serbe. Bon, nous avons peut-être été musulmans pendant 250 ans, mais nous étions orthodoxes auparavant, et profondément Serbes au-dedans de nous, et la religion ne peut rien y changer. Nous ne sommes devenus musulmans que pour survivre aux Turcs. * Kusturica se revendique un grand maître ès-cinéma, et un film qui a tout déclenché : Fellini et son *Amarcord. Esthétique de la mémoire ! Il parle plus volontiers encore de ses influences littéraires. Ici, la figure immense d’Ivo Andrić surplombe tout. Le diplomate froid et prudent qui traversa tous les régimes et décrocha le Nobel, avait été comme lui partisan de la Jeune Bosnie. Mieux que partisan : membre ! Comme lui, il avait rejoint la matrice nationale, lui le catholique éduqué dans les jésuitières de Zagreb et de Vienne. Pour éviter tout malentendu, il s’était rattaché par testament à la littérature serbe. Comme le fit l’autre grand écrivain bosniaque, côté musulman : Meša Selimović, l’auteur du génial roman Le Derviche et la Mort. Ce substrat ethnique et archaïque, areligieux et apolitique, c’était ce que le gestell politique moderne avait essayé d’occulter. C’est l’infra-identité non manipulable qui sourd des stèles séculaires, des vieux alphabets, des motifs folkloriques, des contes anciens. Au temps de l’ingéniérie des consciences et des hologrammes identitaires, c’était — hormis la famille, qu’il met au-dessus de tout — l’ultime paille à quoi se raccrocher.
*
Je n’ai pas rejoint le camp adverse. Je suis allé du côté où je pouvais le plus aisément m’identifier. C’était mon refuge, et je n’en avais pas trouvé de meilleur dans la décomposition générale. Cette église que j’ai construite ici, je la conçois comme une partie de cette culture-là. Mon rapport à ces choses est un rapport à une tradition qu’on doit respecter. Qu’est-ce qu’une ville sans église?
*
L’anti-Guernica
Kusturica a manqué l’occasion de produire son Guernica. Le film qui occuperait dans le cinéma la place qu’occupe le tableau de Picasso dans l’art et l’histoire du XXe siècle. Le film qui le classerait aux côtés du Spielberg de La liste Schindler, du Polanski du Pianiste, ou (pour le monde russe) du Mikhalkov du Barbier de Sibérie. L’alliance entre un grand sujet, une grande exécution et une cascade de grands et nobles sentiments. L’œuvre dont les copies orneraient les halls des institutions internationales. Le chef-d’œuvre officiel qui figerait sous un même passe-partout un drame universel avec les émotions obligatoires qui l’accompagnent. L’entrée dans l’Empyrée des intouchables.
Il l’avait pourtant à portée de main. Il lui eût suffi, dans les années 1990, de ne pas répudier Sarajevo, mais de lui consacrer un drame émouvant. Le siège sans fin. Les partages absurdes. Les amours par-delà le fossé religieux… Tant de petits Clayderman du cinéma s’y sont essayés jusqu’à l’épuisement, lui n’avait même pas d’effort à faire. Au lieu de cela, il a fait financer par les ministères de Milošević une histoire sardonique de la Yougoslavie. Qui commence, en images d’archives, par l’acclamation des Allemands en Croatie et l’entrée des mêmes dans Belgrade ravagée, déserte et en deuil. Le contrepied diamétral des thèses de l’époque, identifiant les Serbes aux nazis par un vertigineux renversement historique. C’était Underground, le film qu’Alain Finkielkraut condamna sans même l’avoir vu. Trois heures de fumée et de sang pour finir par une noce onirique. La deuxième Palme d’Or pour le dissident le plus effronté du cinéma, alors que les décombres fument encore, en 1995 ! Et une polémique monstre dans le mandarinat français. Les censeurs ne savaient pas encore que leurs vertueux rugissements entreraient dans l’histoire, mais comme des braiments d’ânes devant un tableau de maître.
Où en serait-il aujourd’hui si son film avait été produit par le camp du Bien ?
Mais arrêtons-nous là : Kustu a bien tourné un Guernica. Son court métrage de fin d’études, en 1978. C’est l’histoire d’un enfant qui prend conscience de sa judéité au moment où les Allemands lui imposent le brassard jaune. Prémonition ou synchronicité : ce gosse, c’est lui-même, Emir, découvrant son identité réelle au moment où le monde entier la montre du doigt. Comprenant que des partages attisés de l’extérieur, pour des motifs qui « nous » dépassent, vont définitivement briser la fragile, mais précieuse idylle yougoslave.
* > Le monde, ce n’est pas ce qui se voit. Le monde est derrière ce qui se voit. Il faudrait que je sois totalement idiot pour croire qu’on a été bombardé seulement à cause de Milošević. Que les corporations qui fabriquent des bombes pour démolir l’idée de la civilisation des ponts d’Ivo Andrić, et qui détruisent ces ponts, le font uniquement à cause d’un certain Milošević. Ce n’était pas à cause de lui. C’était parce qu’ils voulaient passer en force. Et puis, l’autre soir à la télé, je les ai vus reconstruire ces mêmes ponts…
*
Le Sarajevo des années 90 est la capitale mondiale des pleureuses. A ses yeux, pourtant, ce n’est que mensonge, falsification, fanatisme et kitsch. Il le voit d’autant mieux qu’il connaît et incarne mieux que quiconque l’esprit de Sarajevo. Il consigne dans ses mémoires un entretien avec Izetbegović, lе chef d’Etat fondamentaliste auteur de la Déclaration islamique et ami de BHL, qui avait essayé de le gagner à sa cause. Pour toute réponse, il se rappelle le fils du président, Bakir, son camarade d’école, rejetant avec dégoût la saucisse du hot-dog en un temps où nul ne songeait plus aux interdits surannés du halal. Les Occidentaux qui soutenaient cette régression avaient-ils seulement l’idée du djinn qu’ils étaient en train de libérer de sa bouteille ?
Il serait amusant de soumettre Underground à ses détracteurs vingt ans plus tard et de leur demander d’en résumer le message. Le cinéma de K, comme toute son œuvre, témoigne d’une posture, mais ne délivre aucun concept politique. Son péché n’était pas d’avoir produit de la propagande, mais bien de s’en être abstenu, de n’avoir pas voulu contribuer à la propagande obligatoire et sous-jacente qui imprégnait tout l’espace culturel au temps de la guerre yougoslave. Combien de films, de romans, de reportages vantés et primés à l’époque seraient encore lisibles aujourd’hui ? Les carrosses du cerveaulavage médiatique redeviennent des citrouilles sitôt que les projecteurs s’éteignent.
La mort n’est qu’une rumeur sans fondement
En 1991, l’année où la Yougoslavie éclatait, Theodore Roszak, le père de la contre-culture, publiait un immense thriller qui était en même temps un essai ésotérique et une théologie de la lumière grésillante des salles obscures : Flicker (Le scintillement), dont le titre fut vulgairement traduit par « La conspiration des ténèbres ». Il me revenait sans cesse à l’esprit, à Küstendorf, et je ne savais pourquoi. Puis la raison m’a frappé. La trame de Flicker reposait sur l’idée qu’une secte cathare aurait réussi à truffer le cinéma de messages subliminaux inspirant le dégoût de la vie et préparant l’humanité à sa destruction finale, seul moyen de la soustraire à ce monde tombé sous l’empire du Mal. Le maître d’œuvre de l’hypnose de masse, dans le roman, était un cinéaste émigré d’origine allemande au destin marqué par la poisse. Max Castle, génie incompris, avait fini dans la série B avait de disparaître mystérieusement. Ce Max-là était le double négatif de Kusturica, et le cinéma de Kusturica était le parfait contre-feu à la subversion cathare.
Max Castle faisait de la série B pour vous dégoûter de la vie. Kusturica fait de la série A pour célébrer la vie coûte que coûte.
Le message de Kusturica, du premier au dernier de ses films, est un chant de vie. Dans Te souviens-tu de Dolly Bell ? *, un ado émouvant traverse les turpitudes de la vie de province en se répétant le mantra du docteur Coué. Dans *La vie est un miracle ou Promets-moi, les fusillades jubilatoires ressemblent à la pétarade de joie des mariages balkaniques. Au plus profond de la tragédie, les oies volent en tous sens, les mariées flottent dans les airs, les hommes cassent des verres. Dans Chat noir chat blanc, même un macchabée glissant de son bloc de glace finit par contribuer à cette forme de déchaînement allègre que désigne le terme intraduisible d’urnebes.
C’est ici que les fragments éparpillés sur ses traces finissent par composer un tableau cohérent. Les oies caquetantes ne sauvent pas seulement le cinéma, mais la vie elle-même.
Durant toute sa vie, Emir Kusturica a brûlé ses bateaux, remis en jeu ses acquis, défendu ses choix avec un rare courage physique et moral. Loin de l’enfoncer, sa témérité l’a élevé au-dessus de la mêlée. Il est l’adversaire le plus ardent de l’OTAN, de l’UE et de l’ultralibéralisme, pourtant les collabos en place ne peuvent se permettre de rompre avec lui. Il a pris le risque de se rallier à la Serbie, pourtant les Serbes attendent encore le grand film patriotique qui serait son renvoi d’ascenseur à la mère patrie. Il n’en a cure : il continue de filmer des Gitans et des marginaux.
Or les Gitans de Kusturica ne sont pas une marotte ethnographique. Ni même une démagogie. Ils sont l’incarnation du mouvement, de l’insoumission, de la liberté. Ils sont les gardiens du flamenco, cet art qui n’est art que quand il est aussi tragique et sanglant que la vie même. Ils le protègent de la complaisance, de la révérence et du faux. Leur duende — le démon créateur — est le sien.
*
Drvengrad incarne l’idée d’une ville perdue, non architecturalement, car Sarajevo n’est pas perdue architecturalement, elle est perdue en tant qu’idée. Puisque je ne crois pas à la démocratie, j’aime me dire en plaisantant: puisque j’ai ma ville à moi, je peux en choisir les habitants.
* A soixante ans passés, Kusturica en a vu et connu davantage que quiconque issu de son coin d’Europe ne pouvait rêver de voir et de connaître. Rien, pourtant, n’a ébranlé sa liberté intérieure. Ses entreprises ont remué de folles sommes d’argent, mais l’argent n’est jamais un sujet. Il est parfaitement égal avec tout le monde. Quand Poutine l’assied à la place d’honneur, il bavarde avec lui comme avec un forestier de sa Montagne Trempée. Il prend ce que les pouvoirs lui donnent, mais ne leur rend aucune courbette. Il exaspère ses producteurs, ne flatte personne, éconduit ses admirateurs, déroute et déçoit ses soutiens à l’Ouest. C’est un nomade de la vie. A peine a-t-il bâti une cité à son goût qu’il en construit une autre ou repart en tournée. Il s’est affranchi du star-system, des Etats, des grandes villes et même de la tyrannie du goût. Les milliers de jeunes gens qui l’approchent chaque année à cause du cinéma repartent vaccinés contre les faux-semblants dans toutes les sphères de la vie, contaminés par un humour si diffus qu’il en devient la tonalité même de l’existence.
Emir/Nemanja Kusturica a fait de l’exploit sa vie ordinaire. En témoignent les perles laissées sur sa route, dans la pellicule, le papier, le bois ou la pierre. En témoigne son utopie réalisée et le grand air de nonchalance et de subversion qu’elle fait flotter sur une époque contractée. Il est inébranlable comme celui qui est déjà arrivé. Sa vie, comme disait Carlyle du héros en tant qu’homme de lettres, « est un morceau du cœur éternel de la Nature elle-même ».
His life, as we said before, is a piece of the everlasting heart of Nature herself
Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mar 23 Aoû - 9:33
Шта то стоји између ”Меда” и српства? 2016-05-31 12:05:26 Писмо Драгославу Бокану Драгославе мој драги, Шкрто и одсечно сам ти се захвалио на предивном огледу који си ми посветио. Истина је да сам некуд журио, а и да ме је од твојих похвала, а још више од сврставања у најплеменитији сој српских писаца, спопала нека чудна нелагодност, нешто што се граничи са стидом. Временом сам научио да се не стидим тако лепих речи, а и да се претерано не уображавам због њих. Од самог настанка тог мог "Меда", све је под знаком чуда и благодати. И сада, више од две године након објављивања, приређују књижевне вечери око те књиге и пишу ми о њој. Скоро свакодневно ми пристижу поруке на француском језику — а о нама и нашој легенди. "Мед" ми је изменио судбину а затим одлепршао неким само њему знаним путевима. Ја се само трудим да га пратим. Каскам за њим попут детета за одметнутим змајем. Радости делим са романом и његовим живим ликовима, са својим узорима и нашом теодулском судбином. Нису ме постиделе твоје похвале, добри мој Драгославе. Постидело ме нешто друго. Постидело ме је твоје саопштење о мојој самоћи. Као да си обзнанио да сам сиромах. Сиромах је често и поносит човек: лакше подноси своју сиротињу него ли глас о њој. Нисам, на срећу, сиромах. Нисам ни имућан. Тачно толико имам, или немам, колико треба за живот без обести. Но, пошто је ствар већ јавна, да прогутам понос: усамљен јесам, не својом вољом, и то ме мучи. Теби барем не морам да дочаравам шта значи та усамљеност усред људског вртлога, та духовна осама. Усамљен сам у Швајцарској као "српски националиста" и православац, а парадоксално и као француски писац, "космополита" без акцента, у средини која се дичи својим провинцијализмом. Усамљен сам у Француској као Швајцарац, чорбаџија, држављанин добро стојеће и уређене конзервативне државе коју француски револуционарно-колективистички менталитет мрзи из дна душе. А о усамљености у Србији немам шта да додам. Ти си све рекао, а томе је један од твојих читаоца придодао и сведочење "одавде", са Запада, које ме је довело до ивице суза. Наводим: Овде на универзитету где радим, имам познаника Швајцарца који је професор и зна Слободана још тамо из дана пре средње школе. Он је књигу купио чим се појавила у Паризу, и био је први који ми је о њој са таквим ентузијазмом причао. Колико је поносан што зна Слободана, што му је суграђанин, школски, и колико је то у супротности са потпуном незаинтересованошћу српских културних посленика. Читам ове речи и хвата ме сета. Преко четрдесет година, како сам овде, попут Црњанског сваки дан у себи изговарам реч "Србија". Родитељима сам, као дериште, ЗАБРАНИО да користе француски у кући, да не бисмо сви ми, новопристигли гастарбајтери, заборавили матерњи језик или га изопачили у ону шаролику брљотину коју смуте сви усплахирени емигранти с првим речима, својим или туђим, које им падну на памет. Док сам учио бриткост духа с Ла Фонтеном, срце сам загревао с Чика-Јовом. Док сам пловио далеким морима Пруста и Џејмса, у капуту сам стискао стрица Ниџу и Николетину Бурсаћа. И дан-данас, кад кренем некуд, увек у торбу убацим нешто од Бранка, као грудву родне земље да носим. Мој Бранко. Мој Бора. Мој Добрица. Моја Десанка. Мој Ђура. Ниједан народ сем мог своје великане не назива именима и надимцима, чак и кад кумују улицама и мостовима. То је зато што се само ми увек осећамо сви-својима, што смо истовремено и цивилизација и заселак. Па ваљда свако зна ко су Драгош и Момо! Како је то мило, како је то присно, како је то... људски! Своји смо, мислим. Но ко смо то — "ми"? Ти и ја, данас. Другима, огромној већини, ја нисам "свој", мислим "њихов", шта год чинио, био ја на Западу или међу њима, били они у Србији или овде на фртаљ сата возом. Чудна ми је судбина. У швајцарски јавни живот сам, као студент, ушао на најгори могући начин: као дрски адвокат најомраженијег народа од 1945. наовамо. Тада би ми, пре крштења у Православљу, било удобније па и природније да се изразим као Хрват или "непристрасни Југословен" (т.ј. марксист или сорошевац). Истицао сам своју српску крв управо јер је била омражена и тај скупи орден непрестано истичем. Кад год је српске амбасаде и министарства хватала прпа од наступа пред западним светом, мене су гурали напред, и прихватао сам. Кад је требало протестовати — протестовао сам. Кад је требало псовати — учтиво сам негодовао, јер сам знао (што "моји Срби" нису) да је псовати јачег од себе исто што намазати се медом па стати пред осињак. Кад су 24. марта насрнули на Србију, овдашњи радио ме је позвао да "коментаришем збивања" на вестима сутрадан ујутру, уз неке Шиптаре. И ту сам гнусност прихватио, не без оклевања и мучнине, па напамет научио ове две реченице: "Од овог тренутка, одговорност за све што се тамо буде збивало почива на вашим плећима. А ја се молим за све цивиле и војнике који ће погинути у одбрани Србије и завидим им што више неће морати да трпе одвратне њушке оних који вама владају." Знао сам да ми више од тога неће бити допуштено да изговорим, и тако је и било. А онда сам, неколико година касније, срео човека који ме је препознао по гласу. "Чуо сам Вас на радију 25. марта 1999", рече ми тај средовечни Швајцарац, и загрли ме плачући. "Отворили сте ми очи и срце над овим монструмима." Упркос таквим инцидентима, а и захваљујући њима, стекао сам неко место у културном животу ове земље, а потом и Француске. Био сам издавач екстремиста и терориста, али и стрељаних песника и великих сведока. Био сам саветник национал-конзервативаца али и портпарол еколошког визионара Франца Вебера. Био сам швајцарски десничар и српски агент. Неки недељник је чак "открио" да тобоже водим тајни рачун Радована Караџића у швајцарској банци. Пуке измишљотине, грубе клевете беху једини аргументи с којима сам се суочавао у јавним дебатама. А онда се десило и оно немогуће: српски роман српског шовинисте објавио је Галимар у Белој библиотеци! Отад се клеветама придружила и цептећа завист. Сваки швајцарски писац би дубио на глави да га објаве у најугледнијој библиотеци на свету. Но то је свега неколицини пошло за руком. Скоро сви ти аутори се сада читају у школама. Додуше, и Мед, ту и тамо. Баш сада, у јуну, идем да се сретнем са гимназијалцима којима је задат као лектира. Људи су ме и одраније, ту и тамо, заустављали на улици да расправљају о нечему што сам рекао или написао, да похвале или да посаветују. А након "Меда" су ме заустављали да са мном поћуте, да ми стисну руку, да ми нешто ситно поклоне. У мом градићу, где су људи присни, знају да заподену разговор у реду на пошти или на бензинској пумпи. "Извините што Вам сметам, но прочитао сам Ваш Мед"... МОЈ "Мед". Какав мој! "Мед" припада целој трагичној Крајини и мом целом народу, па чак и оном суседном, убогим Хрватима, који се из глупе мржње коцкају са сопственим спасом. Ти странци су кроз мене читали Крајину која више не постоји. О тој Атлантиди су по први пут нешто сазнавали након две деценије западног забашуривања и нашег срамног ћутања. Дотле нису били ни свесни да су негде на Балкану, за свега четири дана, вековна огњишта једног јуначког племена претворена у гар и коприве, у врзине и мук. Нико им није рекао. Тај Magnum Crimen су Американци брже-боље прикрили, 10. августа 95, конференцијом за штампу о тад већ застарелим збивањима у Сребреници. Нико се није сетио да тај узрочни однос нагласи или чак спомене. Отада се сво зло распада Југославије свело на ту малу енклаву пред којом се и наши властодршци понизно клањају. А Крајина је пропала у заборав као у личку јаму. Оних година ми је од гнева падало на памет да одем на фронт. Какав фронт? С ким? Коме у корист, кад нисам борац? Не волим кич и јефтину романтику. Своју борбу сам свео на снове и тумарања по гају над језером о којем пишем у "Меду". Тада сам се, а да нисам био свестан, потајно изопштио из овог друштва коме припадам и постао његов посматрач, не и протагонист. У мени је већ живео мој Никола, самотни пчелар с Велебита. Природније би ми било сада да се борим за Донбас или Дамаск. Било би безбедније него да стрепим од српске издаје или српског церекања за својим леђима. Самоћа је страшна школа, испит, па и хемијски процес. Од проневерених, изопачених, заборављених српских одисеја остао ми је само суви талог: свељудска срж свега проживљеног. Оно што ме повезује са језгром патње, језгром истине и лажи. Зато данас вишак српских суза лијем над несрпским судбинама. И ову своју причу о Крајини, да неки издавач тражи, могао бих да пребацим у Мексико, Вијетнам или Египат. Не би ми сметало. Моја мученичка Крајина се преселила у небеса и одатле осветљава свако разрушено огњиште и сваку неопевану жртву. Када сам од Раде Милошевић чуо ту библијску приповест о путешествију оца и сина из које ће израсти књига, дуго сам се питао: шта ћу од ње? Како да је ПРЕВЕДЕМ овим слепцима овде? Да сам написао оглед о историји и патњама Крајине, нико ме не би прочитао — сем, наравно, мојих истомишљеника. Нико не чита есејистику с којом се бар начелно не слаже. Есеји, документа, служе пре свега утврђивању предубеђења, а не трежњењу или проширењу свести. Ту улогу само литература и мистика могу да остваре. Дотле нисам био писац. Ни цртицу нисам објавио у икаквом књижевном часопису. Но схватио сам да је пред громадама лажи и пропаганде сасвим узалудно прокламовати "нашу истину" о Крајини и осталим збеговима. Као да на стену насрћеш кашичицом! Толико ми је "наших истина" нуђено за превођење и издавање. И тако ми је било тешко тим добрим а жучним људима објашњавати колико је њихово пожртвовање узалудно пред тим охолим, расејаним, млаким западним светом. Шта ће њима "наша истина" кад ни сопствену немају снаге да сагледају и одбране? Стога је Крајину требало избавити од — Крајине. Ишчупати је из историје и геополитике. Историју пишу победници, а губитници се баве геополитиком. Ни једни ни други се не баве истином, а истина је једино битно. Једини могући потез био је да се Крајина уклеше у књижевну баштину, и то не нашу већ свељудску. Одатле је нико не може избити. Књижевне истине, за разлику од историјских, нису кварљиве. Како ово звучи надмено! Човек уобразио да је Толстој! џѕдф ради се о пувању већ о поетици. Повест о таквим судбинама не пишеш као новинску хронику. Ако не осећаш широки дах у себи, ако ти поглед не циља у небеса, не мораш ни да започињеш. Зато сам тих сто страна писао четири године. За те четири године, можда сам свега десетак дана био дорастао за такву тему. Осталих хиљаду четиристо дана био сам само просечни Европљанин, "идеал и оруђе свеопштег уништења", како га описује Леонтјев. Тако ми је тај крајишки мед постао одскочна даска ка нечему другом. Отуд, вероватно, и нелагодност с којом је књига примљена међу Србима. О њима приповедам, јесте, али не као Србима, већ пре свега као — људима у безљудном времену. И добрим и злим. Тек након "Меда" сам схватио ону уњкаву и наоко млитаву поруку светог патријарха Павла: "Будимо људи!" Сви смо схватили : "будимо уљудни", "добри", "хуманитарни". А ту нема поповања ни моралисања, ни трунке! Павле само говори: "будимо људи"! Прихватимо, усвојимо своју човечност у њеном пуном опсегу и добра и зла. Грешимо, но чинимо и добро! Усудимо се, макар испаштали! Он је видео колико смо сужени, скврчени, као поткресани на Прокрустовом лежају. Моји ликови из "Меда" јесу Срби, но ти Срби су ми се наметнули не ради свог српства већ ради свог ЉУДСТВА! Наши национални мистици и надри-историчари у сваком човеку траже Србина, а ја у Србину тражим човека. Велику реткост у мом времену и поднебљу! Но имам ту срећу што међу Србима најчешће још налазим пречице ка... људима. Мој Бранко, мој Гаврило, мој Николај, мој Арчибалд (Рајс), мој Пера (генерал Галоа), мој Станислав (Краков), мој Патрик-Стефан (пуковник Барио), мој Сања (Зиновјев), мој Емир-Немања, мој Јаков (пуковник Огар), мој Оскар (Фрајзингер). Пуноправни Срби — јер су ЉУДИ! Српство није ни крв ни сој ни грб ни тапија. Српство је — људство међу нељудима, памћење међу збуњенима, срце усред леда. Српству се приклања когод осети голог човека у себи, био он холивудска звезда, војничина или рокер. Српство је сабор ученика, што је сам Николај рекао, и литургија, како додаде Жарко Видовић. Свести српство на етничку, обичајну или верску заједницу, значи већ сузити га и окаменити. Ритуално српство ништа не значи. Отуд и лакоћа с којом грлате "Србенде" прелазе у издају. Само објављивање "Меда" беше чудо. Још вече чудо је његова популарност овде, у француском подручју. Пет награда, четири или пет издања под "белом" корицом, а сада и џепно. Кад ми је пријатељ послао слику књижаре на париском аеродрому са хрпом "Меда" на ударном месту, схватио сам да смо променили статус. Ушли смо, малтене, у "мејнстрим". Пореде нас са Хемингвејем, Хомером... Да се то мени деси! Мени и Крајини! Нама! Најчудније је што ту победу сам славим, као да седим у пресвлачионици и буљим у пехар УЕФА-е. Лажем: нисам сам. Ту си ти, Марина, Светлана и још пар пријатеља, углавном пријатељица. Ту су и читаоци из групе "Медомана". Ту су моји овдашњи пајташи, молери, дрвосече, трговци и штампари, с којима роштиљам и кувам котлиће. Сачувао сам везе са истинским друговима из детињства, Швајцарцима, Италијанима, Шпанцима. Не могу ти ни описати шта за њих значи наш пробој у свету француске културе. А за то време Србија ћути. Крајина, она расељена, ћути. А с њом бих најрадије поделио ову радост. Не ради се о "медијској блокади". То је најмање важно. Њима је све неугодније да напишу нешто лепо о нечему српском мимо спортских вести. А није ни да су ме бојкотовали. "Политика", "Печат", "Геополитика"... Чак ме је Оливера Милетовић угостила на својој одличној емисији. Више ме чуди народ и дијаспора. Око мене, у Швајцарској и шире, има доста српских клубова, па и крајишких. Само један ме је позвао, женевски, где ме знају одраније. Да не спомињем парохије и епархије. Деси се да понеки Србин дође на књижевно вече у некој француској библиотеци, на своју руку. У Лиону сам тако срео два сјајна Сремца - причали смо о Хамвашу и бекријању. Но, ето, већине то као да се уопште не тиче. Често ме људи препознају у авиону за Београд, и ту се ствари одвијају карактеристично: Срби ми углавном причају о политици, а Французи и Швајцарци о — "Меду"! Очигледно постоји неспоразум. Случајно сам добио процену првог издавача који је помишљао књигу да преведе у Србији. Рецензент је оцењује као превише "млаку", баналну, за нашу публику. Има ту нечега. Портрет Срба постаје незамислив без трубача и шенлука, подочњака и необријаних образа. Сами смо се уживили у карикатуру о себи, која није од јуче. За мене је "Ко то тамо пева" гнусан филм, упркос духовитости, но ваљда само за мене. Да не тлапим превише. Од Србије не очекујем никакво признање. Оно што ми је од ње требало већ сам добио, још од детињства, и то нико не може да ми отме. Мој следећи роман нигде Србију ни не спомиње, а у њему је више српског него у "Меду". Понекад замишљам како је Лукијан Мушицки са фрушкогорских обронака мотрио на Мачву и питао се да ли она свест и знање које он носи и брани ишта значе тим људима тамо. Понекад лежим на туђој плажи и поново састављам "Ламент над Београдом", који сам некад у трансу препевао на француски, па одлетим чак у Јоханесбург где је Драган Аћимовић у 50 примерака штампао ту најпотреснију песму посвећену неком граду, игде. Понекад се сетим горког разочарења немачког аристократе и пребега Рајса кад нас је дрмусао: "Чујте, Срби!" Понекад се уживим у стрепњу читавог низа хиландарских владика над рашчереченом или залуђеном матрицом. Понекад сам мој деда-ујак Драго, луди избегли четник који се под старе дане вратио у Србију да би ипак умро у Аустралији, не препознавши своју отаџбину у ономе што је затекао. А у соби у којој спавам, поред иконе и слика деде и баке, нема ничег другог сем лика мог Гаврила Руцовића, Бокеља у Каиру рођеног, у Париз протераног под Насером, полиглоте, светског путника, верника и шмекера, који је целог живота мислио само на Србију. Не боли мене што ме Србија не признаје, драги мој Бокане. Без тога могу да живим. Боли ме што Србија себе не признаје...
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mar 23 Aoû - 9:48
Šta to stoji između ”Meda” i srpstva? 2016-05-31 12:05:26 Pismo Dragoslavu Bokanu Dragoslave moj dragi, Škrto i odsečno sam ti se zahvalio na predivnom ogledu koji si mi posvetio. Istina je da sam nekud žurio, a i da me je od tvojih pohvala, a još više od svrstavanja u najplemenitiji soj srpskih pisaca, spopala neka čudna nelagodnost, nešto što se graniči sa stidom. Vremenom sam naučio da se ne stidim tako lepih reči, a i da se preterano ne uobražavam zbog njih. Od samog nastanka tog mog "Meda", sve je pod znakom čuda i blagodati. I sada, više od dve godine nakon objavljivanja, priređuju književne večeri oko te knjige i pišu mi o njoj. Skoro svakodnevno mi pristižu poruke na francuskom jeziku — a o nama i našoj legendi. "Med" mi je izmenio sudbinu a zatim odlepršao nekim samo njemu znanim putevima. Ja se samo trudim da ga pratim. Kaskam za njim poput deteta za odmetnutim zmajem. Radosti delim sa romanom i njegovim živim likovima, sa svojim uzorima i našom teodulskom sudbinom. Nisu me postidele tvoje pohvale, dobri moj Dragoslave. Postidelo me nešto drugo. Postidelo me je tvoje saopštenje o mojoj samoći. Kao da si obznanio da sam siromah. Siromah je često i ponosit čovek: lakše podnosi svoju sirotinju nego li glas o njoj. Nisam, na sreću, siromah. Nisam ni imućan. Tačno toliko imam, ili nemam, koliko treba za život bez obesti. No, pošto je stvar već javna, da progutam ponos: usamljen jesam, ne svojom voljom, i to me muči. Tebi barem ne moram da dočaravam šta znači ta usamljenost usred ljudskog vrtloga, ta duhovna osama. Usamljen sam u Švajcarskoj kao "srpski nacionalista" i pravoslavac, a paradoksalno i kao francuski pisac, "kosmopolita" bez akcenta, u sredini koja se diči svojim provincijalizmom. Usamljen sam u Francuskoj kao Švajcarac, čorbadžija, državljanin dobro stojeće i uređene konzervativne države koju francuski revolucionarno-kolektivistički mentalitet mrzi iz dna duše. A o usamljenosti u Srbiji nemam šta da dodam. Ti si sve rekao, a tome je jedan od tvojih čitaoca pridodao i svedočenje "odavde", sa Zapada, koje me je dovelo do ivice suza. Navodim: Ovde na univerzitetu gde radim, imam poznanika Švajcarca koji je profesor i zna Slobodana još tamo iz dana pre srednje škole. On je knjigu kupio čim se pojavila u Parizu, i bio je prvi koji mi je o njoj sa takvim entuzijazmom pričao. Koliko je ponosan što zna Slobodana, što mu je sugrađanin, školski, i koliko je to u suprotnosti sa potpunom nezainteresovanošću srpskih kulturnih poslenika. Čitam ove reči i hvata me seta. Preko četrdeset godina, kako sam ovde, poput Crnjanskog svaki dan u sebi izgovaram reč "Srbija". Roditeljima sam, kao derište, ZABRANIO da koriste francuski u kući, da ne bismo svi mi, novopristigli gastarbajteri, zaboravili maternji jezik ili ga izopačili u onu šaroliku brljotinu koju smute svi usplahireni emigranti s prvim rečima, svojim ili tuđim, koje im padnu na pamet. Dok sam učio britkost duha s La Fontenom, srce sam zagrevao s Čika-Jovom. Dok sam plovio dalekim morima Prusta i Džejmsa, u kaputu sam stiskao strica Nidžu i Nikoletinu Bursaća. I dan-danas, kad krenem nekud, uvek u torbu ubacim nešto od Branka, kao grudvu rodne zemlje da nosim. Moj Branko. Moj Bora. Moj Dobrica. Moja Desanka. Moj Đura. Nijedan narod sem mog svoje velikane ne naziva imenima i nadimcima, čak i kad kumuju ulicama i mostovima. To je zato što se samo mi uvek osećamo svi-svojima, što smo istovremeno i civilizacija i zaselak. Pa valjda svako zna ko su Dragoš i Momo! Kako je to milo, kako je to prisno, kako je to... ljudski! Svoji smo, mislim. No ko smo to — "mi"? Ti i ja, danas. Drugima, ogromnoj većini, ja nisam "svoj", mislim "njihov", šta god činio, bio ja na Zapadu ili među njima, bili oni u Srbiji ili ovde na frtalj sata vozom. Čudna mi je sudbina. U švajcarski javni život sam, kao student, ušao na najgori mogući način: kao drski advokat najomraženijeg naroda od 1945. naovamo. Tada bi mi, pre krštenja u Pravoslavlju, bilo udobnije pa i prirodnije da se izrazim kao Hrvat ili "nepristrasni Jugosloven" (t.j. marksist ili soroševac). Isticao sam svoju srpsku krv upravo jer je bila omražena i taj skupi orden neprestano ističem. Kad god je srpske ambasade i ministarstva hvatala prpa od nastupa pred zapadnim svetom, mene su gurali napred, i prihvatao sam. Kad je trebalo protestovati — protestovao sam. Kad je trebalo psovati — učtivo sam negodovao, jer sam znao (što "moji Srbi" nisu) da je psovati jačeg od sebe isto što namazati se medom pa stati pred osinjak. Kad su 24. marta nasrnuli na Srbiju, ovdašnji radio me je pozvao da "komentarišem zbivanja" na vestima sutradan ujutru, uz neke Šiptare. I tu sam gnusnost prihvatio, ne bez oklevanja i mučnine, pa napamet naučio ove dve rečenice: "Od ovog trenutka, odgovornost za sve što se tamo bude zbivalo počiva na vašim plećima. A ja se molim za sve civile i vojnike koji će poginuti u odbrani Srbije i zavidim im što više neće morati da trpe odvratne njuške onih koji vama vladaju." Znao sam da mi više od toga neće biti dopušteno da izgovorim, i tako je i bilo. A onda sam, nekoliko godina kasnije, sreo čoveka koji me je prepoznao po glasu. "Čuo sam Vas na radiju 25. marta 1999", reče mi taj sredovečni Švajcarac, i zagrli me plačući. "Otvorili ste mi oči i srce nad ovim monstrumima." Uprkos takvim incidentima, a i zahvaljujući njima, stekao sam neko mesto u kulturnom životu ove zemlje, a potom i Francuske. Bio sam izdavač ekstremista i terorista, ali i streljanih pesnika i velikih svedoka. Bio sam savetnik nacional-konzervativaca ali i portparol ekološkog vizionara Franca Vebera. Bio sam švajcarski desničar i srpski agent. Neki nedeljnik je čak "otkrio" da tobože vodim tajni račun Radovana Karadžića u švajcarskoj banci. Puke izmišljotine, grube klevete behu jedini argumenti s kojima sam se suočavao u javnim debatama. A onda se desilo i ono nemoguće: srpski roman srpskog šoviniste objavio je Galimar u Beloj biblioteci! Otad se klevetama pridružila i cepteća zavist. Svaki švajcarski pisac bi dubio na glavi da ga objave u najuglednijoj biblioteci na svetu. No to je svega nekolicini pošlo za rukom. Skoro svi ti autori se sada čitaju u školama. Doduše, i Med, tu i tamo. Baš sada, u junu, idem da se sretnem sa gimnazijalcima kojima je zadat kao lektira. Ljudi su me i odranije, tu i tamo, zaustavljali na ulici da raspravljaju o nečemu što sam rekao ili napisao, da pohvale ili da posavetuju. A nakon "Meda" su me zaustavljali da sa mnom poćute, da mi stisnu ruku, da mi nešto sitno poklone. U mom gradiću, gde su ljudi prisni, znaju da zapodenu razgovor u redu na pošti ili na benzinskoj pumpi. "Izvinite što Vam smetam, no pročitao sam Vaš Med"... MOJ "Med". Kakav moj! "Med" pripada celoj tragičnoj Krajini i mom celom narodu, pa čak i onom susednom, ubogim Hrvatima, koji se iz glupe mržnje kockaju sa sopstvenim spasom. Ti stranci su kroz mene čitali Krajinu koja više ne postoji. O toj Atlantidi su po prvi put nešto saznavali nakon dve decenije zapadnog zabašurivanja i našeg sramnog ćutanja. Dotle nisu bili ni svesni da su negde na Balkanu, za svega četiri dana, vekovna ognjišta jednog junačkog plemena pretvorena u gar i koprive, u vrzine i muk. Niko im nije rekao. Taj Magnum Crimen su Amerikanci brže-bolje prikrili, 10. avgusta 95, konferencijom za štampu o tad već zastarelim zbivanjima u Srebrenici. Niko se nije setio da taj uzročni odnos naglasi ili čak spomene. Otada se svo zlo raspada Jugoslavije svelo na tu malu enklavu pred kojom se i naši vlastodršci ponizno klanjaju. A Krajina je propala u zaborav kao u ličku jamu. Onih godina mi je od gneva padalo na pamet da odem na front. Kakav front? S kim? Kome u korist, kad nisam borac? Ne volim kič i jeftinu romantiku. Svoju borbu sam sveo na snove i tumaranja po gaju nad jezerom o kojem pišem u "Medu". Tada sam se, a da nisam bio svestan, potajno izopštio iz ovog društva kome pripadam i postao njegov posmatrač, ne i protagonist. U meni je već živeo moj Nikola, samotni pčelar s Velebita. Prirodnije bi mi bilo sada da se borim za Donbas ili Damask. Bilo bi bezbednije nego da strepim od srpske izdaje ili srpskog cerekanja za svojim leđima. Samoća je strašna škola, ispit, pa i hemijski proces. Od proneverenih, izopačenih, zaboravljenih srpskih odiseja ostao mi je samo suvi talog: sveljudska srž svega proživljenog. Ono što me povezuje sa jezgrom patnje, jezgrom istine i laži. Zato danas višak srpskih suza lijem nad nesrpskim sudbinama. I ovu svoju priču o Krajini, da neki izdavač traži, mogao bih da prebacim u Meksiko, Vijetnam ili Egipat. Ne bi mi smetalo. Moja mučenička Krajina se preselila u nebesa i odatle osvetljava svako razrušeno ognjište i svaku neopevanu žrtvu. Kada sam od Rade Milošević čuo tu biblijsku pripovest o putešestviju oca i sina iz koje će izrasti knjiga, dugo sam se pitao: šta ću od nje? Kako da je PREVEDEM ovim slepcima ovde? Da sam napisao ogled o istoriji i patnjama Krajine, niko me ne bi pročitao — sem, naravno, mojih istomišljenika. Niko ne čita esejistiku s kojom se bar načelno ne slaže. Eseji, dokumenta, služe pre svega utvrđivanju predubeđenja, a ne trežnjenju ili proširenju svesti. Tu ulogu samo literatura i mistika mogu da ostvare. Dotle nisam bio pisac. Ni crticu nisam objavio u ikakvom književnom časopisu. No shvatio sam da je pred gromadama laži i propagande sasvim uzaludno proklamovati "našu istinu" o Krajini i ostalim zbegovima. Kao da na stenu nasrćeš kašičicom! Toliko mi je "naših istina" nuđeno za prevođenje i izdavanje. I tako mi je bilo teško tim dobrim a žučnim ljudima objašnjavati koliko je njihovo požrtvovanje uzaludno pred tim oholim, rasejanim, mlakim zapadnim svetom. Šta će njima "naša istina" kad ni sopstvenu nemaju snage da sagledaju i odbrane? Stoga je Krajinu trebalo izbaviti od — Krajine. Iščupati je iz istorije i geopolitike. Istoriju pišu pobednici, a gubitnici se bave geopolitikom. Ni jedni ni drugi se ne bave istinom, a istina je jedino bitno. Jedini mogući potez bio je da se Krajina ukleše u književnu baštinu, i to ne našu već sveljudsku. Odatle je niko ne može izbiti. Književne istine, za razliku od istorijskih, nisu kvarljive. Kako ovo zvuči nadmeno! Čovek uobrazio da je Tolstoj! džѕdf radi se o puvanju već o poetici. Povest o takvim sudbinama ne pišeš kao novinsku hroniku. Ako ne osećaš široki dah u sebi, ako ti pogled ne cilja u nebesa, ne moraš ni da započinješ. Zato sam tih sto strana pisao četiri godine. Za te četiri godine, možda sam svega desetak dana bio dorastao za takvu temu. Ostalih hiljadu četiristo dana bio sam samo prosečni Evropljanin, "ideal i oruđe sveopšteg uništenja", kako ga opisuje Leontjev. Tako mi je taj krajiški med postao odskočna daska ka nečemu drugom. Otud, verovatno, i nelagodnost s kojom je knjiga primljena među Srbima. O njima pripovedam, jeste, ali ne kao Srbima, već pre svega kao — ljudima u bezljudnom vremenu. I dobrim i zlim. Tek nakon "Meda" sam shvatio onu unjkavu i naoko mlitavu poruku svetog patrijarha Pavla: "Budimo ljudi!" Svi smo shvatili : "budimo uljudni", "dobri", "humanitarni". A tu nema popovanja ni moralisanja, ni trunke! Pavle samo govori: "budimo ljudi"! Prihvatimo, usvojimo svoju čovečnost u njenom punom opsegu i dobra i zla. Grešimo, no činimo i dobro! Usudimo se, makar ispaštali! On je video koliko smo suženi, skvrčeni, kao potkresani na Prokrustovom ležaju. Moji likovi iz "Meda" jesu Srbi, no ti Srbi su mi se nametnuli ne radi svog srpstva već radi svog LjUDSTVA! Naši nacionalni mistici i nadri-istoričari u svakom čoveku traže Srbina, a ja u Srbinu tražim čoveka. Veliku retkost u mom vremenu i podneblju! No imam tu sreću što među Srbima najčešće još nalazim prečice ka... ljudima. Moj Branko, moj Gavrilo, moj Nikolaj, moj Arčibald (Rajs), moj Pera (general Galoa), moj Stanislav (Krakov), moj Patrik-Stefan (pukovnik Bario), moj Sanja (Zinovjev), moj Emir-Nemanja, moj Jakov (pukovnik Ogar), moj Oskar (Frajzinger). Punopravni Srbi — jer su LjUDI! Srpstvo nije ni krv ni soj ni grb ni tapija. Srpstvo je — ljudstvo među neljudima, pamćenje među zbunjenima, srce usred leda. Srpstvu se priklanja kogod oseti golog čoveka u sebi, bio on holivudska zvezda, vojničina ili roker. Srpstvo je sabor učenika, što je sam Nikolaj rekao, i liturgija, kako dodade Žarko Vidović. Svesti srpstvo na etničku, običajnu ili versku zajednicu, znači već suziti ga i okameniti. Ritualno srpstvo ništa ne znači. Otud i lakoća s kojom grlate "Srbende" prelaze u izdaju. Samo objavljivanje "Meda" beše čudo. Još veče čudo je njegova popularnost ovde, u francuskom području. Pet nagrada, četiri ili pet izdanja pod "belom" koricom, a sada i džepno. Kad mi je prijatelj poslao sliku knjižare na pariskom aerodromu sa hrpom "Meda" na udarnom mestu, shvatio sam da smo promenili status. Ušli smo, maltene, u "mejnstrim". Porede nas sa Hemingvejem, Homerom... Da se to meni desi! Meni i Krajini! Nama! Najčudnije je što tu pobedu sam slavim, kao da sedim u presvlačionici i buljim u pehar UEFA-e. Lažem: nisam sam. Tu si ti, Marina, Svetlana i još par prijatelja, uglavnom prijateljica. Tu su i čitaoci iz grupe "Medomana". Tu su moji ovdašnji pajtaši, moleri, drvoseče, trgovci i štampari, s kojima roštiljam i kuvam kotliće. Sačuvao sam veze sa istinskim drugovima iz detinjstva, Švajcarcima, Italijanima, Špancima. Ne mogu ti ni opisati šta za njih znači naš proboj u svetu francuske kulture. A za to vreme Srbija ćuti. Krajina, ona raseljena, ćuti. A s njom bih najradije podelio ovu radost. Ne radi se o "medijskoj blokadi". To je najmanje važno. Njima je sve neugodnije da napišu nešto lepo o nečemu srpskom mimo sportskih vesti. A nije ni da su me bojkotovali. "Politika", "Pečat", "Geopolitika"... Čak me je Olivera Miletović ugostila na svojoj odličnoj emisiji. Više me čudi narod i dijaspora. Oko mene, u Švajcarskoj i šire, ima dosta srpskih klubova, pa i krajiških. Samo jedan me je pozvao, ženevski, gde me znaju odranije. Da ne spominjem parohije i eparhije. Desi se da poneki Srbin dođe na književno veče u nekoj francuskoj biblioteci, na svoju ruku. U Lionu sam tako sreo dva sjajna Sremca - pričali smo o Hamvašu i bekrijanju. No, eto, većine to kao da se uopšte ne tiče. Često me ljudi prepoznaju u avionu za Beograd, i tu se stvari odvijaju karakteristično: Srbi mi uglavnom pričaju o politici, a Francuzi i Švajcarci o — "Medu"! Očigledno postoji nesporazum. Slučajno sam dobio procenu prvog izdavača koji je pomišljao knjigu da prevede u Srbiji. Recenzent je ocenjuje kao previše "mlaku", banalnu, za našu publiku. Ima tu nečega. Portret Srba postaje nezamisliv bez trubača i šenluka, podočnjaka i neobrijanih obraza. Sami smo se uživili u karikaturu o sebi, koja nije od juče. Za mene je "Ko to tamo peva" gnusan film, uprkos duhovitosti, no valjda samo za mene. Da ne tlapim previše. Od Srbije ne očekujem nikakvo priznanje. Ono što mi je od nje trebalo već sam dobio, još od detinjstva, i to niko ne može da mi otme. Moj sledeći roman nigde Srbiju ni ne spominje, a u njemu je više srpskog nego u "Medu". Ponekad zamišljam kako je Lukijan Mušicki sa fruškogorskih obronaka motrio na Mačvu i pitao se da li ona svest i znanje koje on nosi i brani išta znače tim ljudima tamo. Ponekad ležim na tuđoj plaži i ponovo sastavljam "Lament nad Beogradom", koji sam nekad u transu prepevao na francuski, pa odletim čak u Johanesburg gde je Dragan Aćimović u 50 primeraka štampao tu najpotresniju pesmu posvećenu nekom gradu, igde. Ponekad se setim gorkog razočarenja nemačkog aristokrate i prebega Rajsa kad nas je drmusao: "Čujte, Srbi!" Ponekad se uživim u strepnju čitavog niza hilandarskih vladika nad raščerečenom ili zaluđenom matricom. Ponekad sam moj deda-ujak Drago, ludi izbegli četnik koji se pod stare dane vratio u Srbiju da bi ipak umro u Australiji, ne prepoznavši svoju otadžbinu u onome što je zatekao. A u sobi u kojoj spavam, pored ikone i slika dede i bake, nema ničeg drugog sem lika mog Gavrila Rucovića, Bokelja u Kairu rođenog, u Pariz proteranog pod Naserom, poliglote, svetskog putnika, vernika i šmekera, koji je celog života mislio samo na Srbiju. Ne boli mene što me Srbija ne priznaje, dragi moj Bokane. Bez toga mogu da živim. Boli me što Srbija sebe ne priznaje...
Nadezda Admin
Messages : 5423 Date d'inscription : 28/12/2011 Localisation : Belgique
Les Serbes n'ont pas commis de génocide en Croatie, dit la CPI, classant du même coup la plainte de l'Etat croate. Cela nous remet en mémoire l'une des farces les plus hypocrites de ces dernières années. Assurée du soutien sans condition de ses protecteurs occidentaux, la Croatie a déposé une série de plaintes pour crimes de guerre et génocide, totalement dénuées de fondement, mais qui servaient à masquer ou exonérer ses propres actes dans les années 1990.
Tactiquement, la chose se défend. Celui qui a l'initiative a toujours davantage de chances d'être entendu que celui qui subit. Depuis sa sécession en 1991, la Croatie a opiniâtrement et intelligemment promu ses intérêts et son image, soutenue et conseillée il est vrai par des sponsors de poids: l'Allemagne et les Etats-Unis. Elle a l'avantage d'une idéologie nationale claire et nette, d'une politique d'Etat largement identifiée à cette idéologie nationale, mais aussi d'une habitude bien rodée de quérulence juridique et d'une totale absence de pudeur (deux caractéristiques relevées au fil du temps par nombre d'observateurs, et pas seulement hostiles). En face: la Serbie, reléguée, conspuée, bombardée, aussumant seule et par défaut l'héritage compromettant de la Yougoslavie communiste et devant prendre en compte une population dispersée entre plusieurs nouveaux Etats, oscillant sans cesse entre sa pulsion souverainiste et sa "diplomatie" brouillonne, entre l'Est et l'Ouest, entre sa pugnacité traditionnelle et la couardise de ses élites.
D'un côté, donc, une volonté focalisée comme un laser, servie par une classe politique quasi unanime quant à ses intérêts nationaux. De l'autre, une incurable dispersion de forces et une élite dirigeante constamment divisée.
La Croatie a déployé des trésors de détermination et d'habileté pour défendre des buts illégitimes et blanchir des actions criminelles. La Serbie, dans le même temps, a fait preuve d'une remarquable inaptitude à faire valoir ses droits les plus élémentaires et à réfuter les accusations monstrueuses et parfois grotesques portées contre elle. Cette défense — j'en sais quelque chose en tant que secrétaire de feu l'Institut serbe de Lausanne et rédacteur de la revue Raison garder — a toujours été abandonnée, côté serbe, à l'initiative privée, le soutien étatique en ces matières relevant toujours de la planche pourrie.
La réponse de la CPI est juste et bienvenue, mais la question n'était pas la bonne. Il serait plus pertinent, au vu des faits avérés, de se demander si la Croatie, dans les années 1990, n'a pas commis un génocide sur les populations vivant sur son territoire. Le nettoyage ethnique total de la Krajina (225'000 expulsés, 10'000 morts et disparus environ), qui sert d'arrière-plan à mon roman Le Miel, constitue de loin, par son envergure et ses conséquences, le plus important crime de guerre de tout le conflit yougoslave. Il a été ordonné par le gouvernement croate, exécuté par son armée et continue d'être célébré depuis comme une fête nationale. Cela n'a pas empêché le TPI de relaxer les deux généraux responsables de l'exécutif, Markač et Gotovina. Par ailleurs, la classe politique, les médias et même les personnalités du show-biz croates (tel le chanteur populaire Thompson) ont fourni suffisamment de déclarations publiques au cours du dernier quart de siècle (sans remonter plus haut!) pour documenter l'accusation de projet de génocide fondé sur une idéologie raciste élaborée et diffusée au plus haut niveau de l'officialité. Le simple fait qu'on ait réutilisé sans modification les armes d'Etat de la Croatie nazie de Pavelić, qu'on ait réhabilité au plus haut niveau ce régime explicitement génocidaire en attribuant notamment des noms de rues à ses dirigeants, aurait suffi dans n'importe quel autre cas à faire condamner la Croatie moderne devant toutes les cours légales et morales du monde moderne.
Au lieu de cela, l'UE a accueilli cette même Croatie en jetant un voile sur son histoire récente et sans jamais l'interroger sur son idéologie plus que douteuse. Nous voilà du coup réduits à nous féliciter de ce que la Croatie n'ait pas réussi à faire condamner la Serbie pour génocide. La Serbie est, de toutes les républiques de l'ex-Yougoslavie, celle qui accueille le plus grand nombre de réfugiés — environ un million de personnes — issus de la guerre civile, et dans les conditions les plus précaires. Ce fait indiscutable aurait dû servir de critère primordial pour juger les torts des uns envers les autres. Il a simplement été ignoré et continue de l'être à ce jour.
Notules J'ai accueilli aujourd'hui mon 1000e abonné sur Twitter.
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Dim 9 Déc - 14:05
Les Serbes n'ont pas commis de génocide en Croatie, dit la CPI, classant du même coup la plainte de l'Etat croate. Cela nous remet en mémoire l'une des farces les plus hypocrites de ces dernières années. Assurée du soutien sans condition de ses protecteurs occidentaux, la Croatie a déposé une série de plaintes pour crimes de guerre et génocide, totalement dénuées de fondement, mais qui servaient à masquer ou exonérer ses propres actes dans les années 1990.
Tactiquement, la chose se défend. Celui qui a l'initiative a toujours davantage de chances d'être entendu que celui qui subit. Depuis sa sécession en 1991, la Croatie a opiniâtrement et intelligemment promu ses intérêts et son image, soutenue et conseillée il est vrai par des sponsors de poids: l'Allemagne et les Etats-Unis. Elle a l'avantage d'une idéologie nationale claire et nette, d'une politique d'Etat largement identifiée à cette idéologie nationale, mais aussi d'une habitude bien rodée de quérulence juridique et d'une totale absence de pudeur (deux caractéristiques relevées au fil du temps par nombre d'observateurs, et pas seulement hostiles). En face: la Serbie, reléguée, conspuée, bombardée, aussumant seule et par défaut l'héritage compromettant de la Yougoslavie communiste et devant prendre en compte une population dispersée entre plusieurs nouveaux Etats, oscillant sans cesse entre sa pulsion souverainiste et sa "diplomatie" brouillonne, entre l'Est et l'Ouest, entre sa pugnacité traditionnelle et la couardise de ses élites.
D'un côté, donc, une volonté focalisée comme un laser, servie par une classe politique quasi unanime quant à ses intérêts nationaux. De l'autre, une incurable dispersion de forces et une élite dirigeante constamment divisée.
La Croatie a déployé des trésors de détermination et d'habileté pour défendre des buts illégitimes et blanchir des actions criminelles. La Serbie, dans le même temps, a fait preuve d'une remarquable inaptitude à faire valoir ses droits les plus élémentaires et à réfuter les accusations monstrueuses et parfois grotesques portées contre elle. Cette défense — j'en sais quelque chose en tant que secrétaire de feu l'Institut serbe de Lausanne et rédacteur de la revue Raison garder — a toujours été abandonnée, côté serbe, à l'initiative privée, le soutien étatique en ces matières relevant toujours de la planche pourrie.
La réponse de la CPI est juste et bienvenue, mais la question n'était pas la bonne. Il serait plus pertinent, au vu des faits avérés, de se demander si la Croatie, dans les années 1990, n'a pas commis un génocide sur les populations vivant sur son territoire. Le nettoyage ethnique total de la Krajina (225'000 expulsés, 10'000 morts et disparus environ), qui sert d'arrière-plan à mon roman Le Miel, constitue de loin, par son envergure et ses conséquences, le plus important crime de guerre de tout le conflit yougoslave. Il a été ordonné par le gouvernement croate, exécuté par son armée et continue d'être célébré depuis comme une fête nationale. Cela n'a pas empêché le TPI de relaxer les deux généraux responsables de l'exécutif, Markač et Gotovina. Par ailleurs, la classe politique, les médias et même les personnalités du show-biz croates (tel le chanteur populaire Thompson) ont fourni suffisamment de déclarations publiques au cours du dernier quart de siècle (sans remonter plus haut!) pour documenter l'accusation de projet de génocide fondé sur une idéologie raciste élaborée et diffusée au plus haut niveau de l'officialité. Le simple fait qu'on ait réutilisé sans modification les armes d'Etat de la Croatie nazie de Pavelić, qu'on ait réhabilité au plus haut niveau ce régime explicitement génocidaire en attribuant notamment des noms de rues à ses dirigeants, aurait suffi dans n'importe quel autre cas à faire condamner la Croatie moderne devant toutes les cours légales et morales du monde moderne.
Au lieu de cela, l'UE a accueilli cette même Croatie en jetant un voile sur son histoire récente et sans jamais l'interroger sur son idéologie plus que douteuse. Nous voilà du coup réduits à nous féliciter de ce que la Croatie n'ait pas réussi à faire condamner la Serbie pour génocide. La Serbie est, de toutes les républiques de l'ex-Yougoslavie, celle qui accueille le plus grand nombre de réfugiés — environ un million de personnes — issus de la guerre civile, et dans les conditions les plus précaires. Ce fait indiscutable aurait dû servir de critère primordial pour juger les torts des uns envers les autres. Il a simplement été ignoré et continue de l'être à ce jour.
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mar 26 Mar - 23:57
Pas de génocide en Croatie?
Les Serbes n'ont pas commis de génocide en Croatie, dit la CPI, classant du même coup la plainte de l'Etat croate. Cela nous remet en mémoire l'une des farces les plus hypocrites de ces dernières années. Assurée du soutien sans condition de ses protecteurs occidentaux, la Croatie a déposé une série de plaintes pour crimes de guerre et génocide, totalement dénuées de fondement, mais qui servaient à masquer ou exonérer ses propres actes dans les années 1990.
Tactiquement, la chose se défend. Celui qui a l'initiative a toujours davantage de chances d'être entendu que celui qui subit. Depuis sa sécession en 1991, la Croatie a opiniâtrement et intelligemment promu ses intérêts et son image, soutenue et conseillée il est vrai par des sponsors de poids: l'Allemagne et les Etats-Unis. Elle a l'avantage d'une idéologie nationale claire et nette, d'une politique d'Etat largement identifiée à cette idéologie nationale, mais aussi d'une habitude bien rodée de quérulence juridique et d'une totale absence de pudeur (deux caractéristiques relevées au fil du temps par nombre d'observateurs, et pas seulement hostiles). En face: la Serbie, reléguée, conspuée, bombardée, aussumant seule et par défaut l'héritage compromettant de la Yougoslavie communiste et devant prendre en compte une population dispersée entre plusieurs nouveaux Etats, oscillant sans cesse entre sa pulsion souverainiste et sa "diplomatie" brouillonne, entre l'Est et l'Ouest, entre sa pugnacité traditionnelle et la couardise de ses élites.
D'un côté, donc, une volonté focalisée comme un laser, servie par une classe politique quasi unanime quant à ses intérêts nationaux. De l'autre, une incurable dispersion de forces et une élite dirigeante constamment divisée.
La Croatie a déployé des trésors de détermination et d'habileté pour défendre des buts illégitimes et blanchir des actions criminelles. La Serbie, dans le même temps, a fait preuve d'une remarquable inaptitude à faire valoir ses droits les plus élémentaires et à réfuter les accusations monstrueuses et parfois grotesques portées contre elle. Cette défense — j'en sais quelque chose en tant que secrétaire de feu l'Institut serbe de Lausanne et rédacteur de la revue Raison garder — a toujours été abandonnée, côté serbe, à l'initiative privée, le soutien étatique en ces matières relevant toujours de la planche pourrie.
La réponse de la CPI est juste et bienvenue, mais la question n'était pas la bonne. Il serait plus pertinent, au vu des faits avérés, de se demander si la Croatie, dans les années 1990, n'a pas commis un génocide sur les populations vivant sur son territoire. Le nettoyage ethnique total de la Krajina (225'000 expulsés, 10'000 morts et disparus environ), qui sert d'arrière-plan à mon roman Le Miel, constitue de loin, par son envergure et ses conséquences, le plus important crime de guerre de tout le conflit yougoslave. Il a été ordonné par le gouvernement croate, exécuté par son armée et continue d'être célébré depuis comme une fête nationale. Cela n'a pas empêché le TPI de relaxer les deux généraux responsables de l'exécutif, Markač et Gotovina. Par ailleurs, la classe politique, les médias et même les personnalités du show-biz croates (tel le chanteur populaire Thompson) ont fourni suffisamment de déclarations publiques au cours du dernier quart de siècle (sans remonter plus haut!) pour documenter l'accusation de projet de génocide fondé sur une idéologie raciste élaborée et diffusée au plus haut niveau de l'officialité. Le simple fait qu'on ait réutilisé sans modification les armes d'Etat de la Croatie nazie de Pavelić, qu'on ait réhabilité au plus haut niveau ce régime explicitement génocidaire en attribuant notamment des noms de rues à ses dirigeants, aurait suffi dans n'importe quel autre cas à faire condamner la Croatie moderne devant toutes les cours légales et morales du monde moderne.
Au lieu de cela, l'UE a accueilli cette même Croatie en jetant un voile sur son histoire récente et sans jamais l'interroger sur son idéologie plus que douteuse. Nous voilà du coup réduits à nous féliciter de ce que la Croatie n'ait pas réussi à faire condamner la Serbie pour génocide. La Serbie est, de toutes les républiques de l'ex-Yougoslavie, celle qui accueille le plus grand nombre de réfugiés — environ un million de personnes — issus de la guerre civile, et dans les conditions les plus précaires. Ce fait indiscutable aurait dû servir de critère primordial pour juger les torts des uns envers les autres. Il a simplement été ignoré et continue de l'être à ce jour.
Nadezda Admin
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Sujet: Re: Chronique de Slobodan Despot ! Mer 27 Mar - 0:01